CENTENAIRE DES 24 HEURES – LE MANS, L’EXCEPTION ⎮ Une victoire aux 24 Heures du Mans marque les esprits. Quand elle est associée à des records, elles enfoncent le clou dans l’imaginaire des spectateurs. « Ils sont allés plus vite que n’importe qui auparavant sur 24 heures… » Le nombre de kilomètres parcourus en 24 heures est ainsi un paramètre important de la victoire. De 1923 à 1971, retour sur un demi-siècle d’évolution du record de la distance, symbole ultime de performance et d’excellence.
Souvenons-nous par exemple que Ferdinand Piëch avait été particulièrement dépité de constater que son bébé, la Porsche 917 K 4,5 litres conçue sous ses directives, avait parcouru moins de kilomètres en gagnant en 1970 que la Porsche 908 3 litres de 1969, deuxième derrière une Ford GT40 ! Mais ce nombre de kilomètres couverts dépend de plusieurs facteurs.
Bien sûr, il donne une bonne idée de la performance de la voiture. Mais ces performances techniques sont bien souvent encadrées par un règlement drastique. On limite la cylindrée (donc la puissance des moteurs), l’aérodynamique (pour fixer un équilibre entre vitesse de pointe et vitesse de passage en virages), le poids (et « le poids c’est l’ennemi », selon la formule consacrée), la dimension des pneumatiques, parfois même la consommation sur 24 heures…
Ensuite la performance des pilotes, car il faut aller vite tout en ménageant sa voiture. Combien de fois a-t-on vu les lièvres au départ, envoyés faire la course en tête à un rythme très élevé, « casser » avant l’arrivée?
Les aléas d’un record
Par ailleurs, le kilométrage parcouru dépend du temps qu’il a fait. Malgré tous leurs talents, les pilotes roulent en toute logique moins vite sous la pluie que sur le sec. Les manufacturiers de pneumatiques ont beau déployer des pneus adaptés à la pluie, avec des dessins permettant d’évacuer un maximum d’eau, le kilométrage parcouru durant les éditions bien arrosées reste toujours inférieur à celui de l’année précédente ou suivante sur sol sec. Ce qui fut le cas en 1970.
En outre, le profil du circuit joue un rôle essentiel dans cette course au kilométrage. Du premier circuit de 17,252 km et ses très longues lignes droites (sans la courbe Dunlop ni les esses du Tertre Rouge), au dernier (avec l’ajout de ce que l’on continue à appeler depuis 1972 la nouvelle portion, une succession de virages en fait appelés Porsche, et qui remplace la simple courbe ultra rapide de Maison Blanche, sans oublier les deux ralentisseurs de la ligne droite des Hunaudières), le circuit actuel de 13,629 km est beaucoup plus lent que le premier… Même s’il reste un des circuits les plus rapides au monde.
Dernier élément, les années des grandes bagarres entre deux ou trois marques ont souvent marqué une progression rapide du record de distance parcourue. Cela a été le cas au milieu des années 1950 avec la bagarre Jaguar-Mercedes, puis dans les années 1960 lors de la guerre Ferrari-Ford, puis en 1971 lors de l’affrontement Porsche-Ferrari.
Nous allons donc suivre cette progression de la distance parcourue en 24 heures, de 1923 à 1971, dernière année sans les esses Porsche. Précisons en outre qu’à l’époque le Safety Car n’existait pas et la course n’était jamais neutralisée, y compris lors de l’édition 1955 de sinistre mémoire…
1923-1939 : premiers tracés, premiers records
En 1923, la Chenard & Walcker d’André Lagache/René Léonard avait couvert pas moins de 2 209.536 kilomètres, à la stupéfiante moyenne de 92,064 km/h ! Dans ces années-là, la barre des 100 km/h de moyenne faisait rêver spectateurs, pilotes et ingénieurs… Il faut pourtant attendre 1926 pour qu’elle soit franchie par la Lorraine Dietrich B3-6 de Robert Bloch et André Rossignol (2 552 km, soit une moyenne de 106,305 km/h).
Seize ans plus tard, en 1939, dernière année avant l’interruption due à la Deuxième Guerre mondiale, et malgré de grosses modifications du circuit en 1932, réduit à 13,492 km – avec la création de la zone de virages comprenant les célèbres courbes Dunlop et Esses du Tertre Rouge – Jean-Pierre Wimille, Pierre Veyron et leur Bugatti 57 G battent tous les records à la distance avec 3 354,760 km parcourus à 139,781 km/h de moyenne, soit une progression de 1 145 km.
Durant ces seize années, la distance couverte a progressé de plus de 50 % (51% très précisément). Pendant cette période, les voitures se sont affinées, les freins ont largement progressé, le nombre de cylindres a augmenté, passant de 4 à 8 cylindres en ligne, tout comme la cylindrée, qui atteint un pic de 6 597 cm3 atmosphérique (Bentley en 1929 et 1930) puis à 2 337 à compresseur (Alfa Romeo de 1932 à 1935) et finissant à 3 251 cm3 atmosphérique (Bugatti en 1939).
Dix ans et une Seconde Guerre mondiale plus tard, la course reprend en 1949. Le circuit reste le même et a été remis en état. Un élan anime les ingénieurs et de nouvelles solutions apparaissent, comme le moteur V12 de la Ferrari victorieuse. Retardée par une lourde réparation de carrosserie, cette 166 MM de Chinetti/Selsdon ne bat malheureusement pas le record à la distance. Ce sera fait dès l’année suivante, la Talbot Lago T26 GS des Rosier père et fils couvrant 3 465 km.
1 000 kilomètres en dix ans
La progression est relancée et à la fin des années 1950, alors que les constructeurs anglais grâce à Jaguar et Aston Martin avec six victoires en neuf ans. Seuls Mercedes et Ferrari parviennent à rivaliser (respectivement en 1953 pour la marque à l’étoile, puis en 1954 et 58 pour le cheval cabré), les moteurs 6 et 12 cylindres, les freins à disque, les châssis surbaissés et les carrosseries profilées permettent d’atteindre les distances record de 4 397 km en 1957 (Jaguar) et 4 347 km en 1959 (Aston Martin).
La décennie suivante se répartira en deux temps. Pour commencer de 1960 à 1965, la domination de Ferrari, puis de 1966 à 1969 celle de Ford. On passera du V12 italien de 3 litres au gros V8 américain de près de 7 litres, avant que le règlement ne limite en 1968 la cylindrée à 5 litres pour la catégorie dite Sport… Mais cette décade a vu le record à la distance progresser de 4 217 (Ferrari en 1960) à 5 232 km (Ford MK IV de Dan Gurney/AJ Foyt) en 1967 au terme d’une bagarre homérique ave les Ferrari P3 et P4). Soit plus de 1 000 kilomètres gagnés en moins de 10 ans !
Ce record va tenir durant les quelques années suivantes en raison des contraintes réglementaires de cylindre avant que Porsche puis Ferrari ne décident d’investir dans une mini-série de 25 prototypes équipés de moteurs 4,5 puis 4.9 litres (Porsche) ou 5 litres (Ferrari). Ce nouveau duel aboutit en 1971 à un nouveau record de 5 335 km en 24 heures pour la Porsche 917 k de Helmut Marko/Gijs van Lennep.
Le circuit étant profondément modifié en 1972 avec la création des virages Porsche qui feront perdre une douzaine de secondes au tour, et le règlement moteur limité à 3000 cm3 dès cette année-là rendent toute comparaison impossible. En outre, l’apparition régulière des Safety Car et des Slow Zones (zones de neutralisation partielle du circuit), pour des raisons de sécurité en cas d’intervention des commissaires de piste, ralentit les voitures durant parfois plus d’une heure de course. En l’espace de 47 ans, la distance parcourue aura donc plus que doublé, passant de 2 209 en 1923 à 5335 km en 1971. Et il faudra attendre près de quarante ans pour qu’une Audi en 2010 batte la Porsche 917 pour établir l’actuel record de la distance.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS 1926-1971 - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : instantanés du record de la distance des 24 Heures du Mans de 1923 à 1971, avec la Porsche 917 K (n°22), dont le record tiendra de 1971 à 2010 ; Lorraine Dietrich (n°4, 5 et 6) est en 1926 le premier constructeur à passer les 100 km/h de moyenne ; en 1939, la Bugatti (n°1) s'élance vers un nouveau record de la distance avant dix ans d'interruption dus à la Seconde Guerre mondiale ; en 1956, Jaguar (n°4) est le premier constructeur à atteindre les 4 000 kilomètres en course ; en 1960, Ferrari (n°11) établit un nouveau record de la distance, que le constructeur italien battra à deux reprises en 1963 et 64 ; en 1967, Ford (n°1) conclut une chevauchée victorieuse qui dépasse pour le première fois les 5 000 kilomètes.