Quand les 24 Heures du Mans mettent le turbo
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Quand les 24 Heures du Mans mettent le turbo

CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS ⎮ Après le compresseur des années 1930, l’apparition du turbocompresseur pendant les années 1970 marque un changement majeur dans l’évolution des moteurs aux 24 Heures du Mans, avec 39 victoires dans la Sarthe depuis 1976.

Avant même la Seconde Guerre mondiale, on cherche à augmenter la puissance des moteurs par suralimentation, grâce un compresseur. Celui-ci permet de multiplier la puissance de 1,3 à 1,5 sans pour autant avoir à augmenter d’autant la cylindrée. D’une part celle-ci est réglementée par l’organisateur. D’autre part, une augmentation de cylindrée implique des moteurs plus volumineux et plus lourds, donc moins facile à intégrer dans la voiture. Cette augmentation de cylindrée a aussi pour conséquence des moteurs moins agiles, ainsi qu’une augmentation des frottements internes générateurs de consommation…

Les années 1930 et la voie du compresseur

Plusieurs constructeurs ont donc rapidement adopté des compresseurs mécaniques, à vis ou à engrenage. Rappelons que pour qu’un moteur fonctionne, le mélange air/essence doit s’effectuer dans des proportions fixes. Grâce au compresseur, le principe consiste alors à comprimer l’air avant le carburateur, donc à en augmenter la quantité envoyée vers le moteur, et ainsi pouvoir injecter plus d’essence tout en respectant le ratio nécessaire. Plus de mélange air/essence est systématiquement synonyme de plus de puissance.

Apparu sur une Alvis 1500 cc en 1928, le compresseur séduit. Ainsi en 1930, cinq voitures sur dix-sept engagées sont équipées de suralimentation : deux Bentley, une Mercedes SSK, une Alfa Romeo et la Lea-Francis. Bentley répartit ses moteurs, avec de gros atmosphériques de 6,5 litres de 180 ch d’une part et de plus petits 4,5 litres à compresseurs de 175 ch d’autre part. Mais c’est Alfa Romeo qui apporte au compresseur sa première victoire en 1931

Des règles d’équivalence sont mises en place et limitent la cylindrée des voitures disposant de suralimentation pour équilibrer les puissances entre les voitures suralimentées et les atmosphériques. Dès 1931, un moteur à compresseur devait avoir une cylindrée de 33 % plus faible qu’un moteur atmosphérique.

Porsche et Renault, pionniers du turbo

Mais il faut les entraîner, ces compresseurs mécaniques… Pris sur le vilebrequin, l’entrainement par pignons ou courroie, voire prise directe, prélève de la puissance sur le moteur. Et plus le compresseur comprime l’air, plus il est dur à entraîner, et consomme donc une bonne partie de la puissance qu’il permet de gagner.

Il faut donc chercher une source d’énergie gratuite pour entrainer le compresseur. Porsche et Renault font plus ou moins simultanément les mêmes analyses. Les gaz d’échappement peuvent entrainer une petite turbine, dont l’arbre de rotation entrainait un compresseur, et cela sans prélever de puissance sur le moteur… En effet, la vitesse des gaz à l’échappement est jusque-là totalement inusitée.

Le temps de réponse est toutefois un inconvénient majeur : le compresseur est entrainé par la turbine et celle-ci continue à tourner très vite sur son inertie après avoir levé le pied de l’accélérateur. On s’aperçoit que le fait de doubler le turbocompresseur permet de réaliser des éléments plus petits et répondant plus rapidement aux changements de régime.

On cherche aussi à diminuer la température de l’air admis dans le moteur, réchauffé par la compression, en installant des échangeurs air/air. Enfin, pour limiter la surpression à la décélération, on installe des soupapes de décharge dont le bruit caractéristique a enchanté les oreilles des spectateurs.

Porsche à la pointe du turbo

La suppression de la catégorie Sport (5 litres) pousse Porsche à réfléchir au moyen d’augmenter les puissances des moteurs, limités réglementairement à 3 litres atmosphériques ou 2,1 litres compressés (coefficient de 1,4). Connaissant les limites de leur 6 cylindres à plat refroidi par air (ne pouvant pas dépasser 3 litres de cylindrée), le constructeur allemand teste en 1974 au Mans une Porsche 911 dotée d’un moteur à la cylindrée réduite à 2,1 litres et munie d’un turbocompresseur. La voiture elle-même bénéficie d’énormes passages de roues, de pneus arrière surdimensionnés et d’un grand aileron à l’arrière. A la surprise générale, elle signe le septième temps des essais, avant de finir deuxième du classement général, à seulement six tours de la Matra victorieuse.

Fort de ce résultat, Porsche suggère à la CSI (Commission Sportive Internationale, ancêtre de l’actuelle FIA) de créer le Groupe 5, appelé parfois formule Silhouette, à compter de 1976. Et construit l’inoubliable Porsche 935, également fournie à des écuries privées.  Mais le constructeur allemand décide de construire également une Groupe 6 (catégorie prototype, principalement à carrosserie ouverte à cette époque), notamment pour Le Mans. La technologie du turbo est définitivement validée et deux moteurs 6 cylindres à plat ainsi équipés sont installés en version 2.1 litres sur la Porsche 936 (Gr 6) et 2.8 litres sur la 935 (Gr 5).

La saison 1976 remplit tous les objectifs : titre en Championnat du monde des Marques pour la Porsche 935 et victoire aux 24 Heures du Mans pour la Porsche 936. C’est donc un carton plein pour la technologie du turbocompresseur. Et ça ne fait que commencer pour la suralimentation, avec une nouvelle victoire de la Porsche 936 en 1977, puis de la Renault-Alpine A442 en 1978 et de la Porsche 935 K3 en 1979. En 1980, Rondeau interrompt cette série.

Le turbo dominateur

En 1982, c’est l’avènement des prototypes de la réglementation dite du Groupe C, et Porsche est au rendez-vous avec la 956, puis la 962 C double turbo. Le moteur est toujours un 6 cylindres à plat de 2650 cm3. Signe de son avance avec cette technique du turbocompresseur, Porsche gagne six ans de suite, délogeant Ferrari du record de victoires aux 24 Heures du Mans. Il faut attendre 1988 et le V12 7 litres atmosphérique de Jaguar pour venir à bout du moteur turbocompressé.

Durant les années 1990, le moteur atmosphérique fait de la résistance au gré des règlements : six victoires encore (Jaguar, Mazda Peugeot, McLaren et BMW) contre quatre pour le moteur turbo (Porsche). Dans les années 2000, le turbocompresseur s’impose implacablement, que ce soit avec des moteurs essence ou diesel (Audi et Peugeot), sans laisser une miette au moteur atmosphérique, jusqu’à l’arrivée des moteurs hybrides.  Une nouvelle révolution technologique à suivre très prochainement dans le cadre de ce centenaire…

PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : La Porsche 936 (n°20) est le premier prototype à moteur turbocompressé vainqueur au Mans, avec au volant Jacky Ickx et Gijs van Lennep ; le compresseur de la Bentley Blower de 1930 (n°9) est ici visible à l'avant au pied du radiateur ; en 1978, Renault-Alpine (n°2) sort vainqueur d'un duel de turbos avec Porsche, avec la victoire de Didier Pironi et Jean-Pierre Jaussaud ; la Porsche 935 (ici la voiture victorieuse des 24 Heures 1979, n°41) est une autre voiture à moteur turbo emblématique de la fin des années 1970 ; avec quatre succès consécutifs de 1982 à 1985, la 956 (ici la n°1 victorieuse en 1982) à moteur double turbo va amorcer pour Porsche un cycle dominateur qui se poursuivra avec la 962 C en 1986 et 87 ; en 2006, Audi associe la technologie du turbocompresseur à celle du diesel pour trois victoires consécutives du prototype R10 TDI.

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