CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS ⎮ En un siècle d’histoire, les innovations des voitures et infrastructures ont souvent été les plus visibles par les spectateurs des 24 Heures du Mans. Mais de tout temps, le revêtement du circuit a fait l’objet d’un soin particulier, dont les innovations ont grandement influencé la modernisation du réseau routier français dans les premières années d’existence de la course.
C’est à l’occasion du Grand Prix de l’Automobile Club de France, en 1906, que la Sarthe s’intéresse pour la première fois au revêtement des routes. Pour la circonstance, le circuit éphémère de 103 kilomètres constitué de routes nationales, départementales et privées subit quelques essais de goudronnage. L’intention est louable mais le jour du Grand Prix, la température ambiante de 36° à l’ombre provoque la fonte du goudron. Lors des dépassements, celui-ci est projeté par les pneus des bolides, dépourvus d’ailes ou de garde-boue, sur les yeux des malheureux pilotes. Le professeur Rothschild, médecin chef, doit soigner ce qu’on appellera « les ophtalmies du Mans ».
Dès l’avènement du Grand Prix d’Endurance des 24 Heures du Mans, l’infatigable secrétaire général de l’ACO, Georges Durand, fait du revêtement des routes une priorité majeure. Le circuit est ainsi propulsé « laboratoire d’essai » par et pour les Ponts et Chaussées, titre officialisé dix ans plus tard. Pour le Grand Prix de 1921, la route du circuit subit un rechargement en porphyre de Voutré. Cette carrière du nord de la Mayenne fournit encore aujourd’hui des matériaux de qualité pour les sous couches des routes mais aussi pour les ballasts des chemins de fer.
En 1922 puis en 1923 sont réalisés un goudronnage et fort peu de réparations. Hélas les conditions météo dantesques de la première édition des 24 Heures mettent à mal la structure de la route et après quelques heures, les pierres déchaussées par les trombes d’eau commencent « à voler bas » et provoquer des dégâts sur les voitures : nombre des phares et pare-brises sont ainsi brisés, et des radiateurs et réservoirs perforés.
Un revêtement de référence
Pour 1924 le revêtement est bien sûr remis en état par la pose d’une troisième couche de goudron, goudron-bitume et gravillonnage. Parallèlement, Georges Durand n’a de cesse d’interpeller l’Etat qui construisait à l’époque - et à grands frais - des routes à base de béton/ciment. Le trafic déjà important des Hunaudières (sur la route allant de l’Angleterre à l’Espagne) ne détruisant pas le revêtement, il n’est pas facile au secrétaire général de l’ACO et aux ingénieurs des Ponts et Chaussées locaux de convertir l’Etat à des routes bon marché.
Le reste du circuit, qui ne subissait pas de trafic, est traité différemment par le recours au silicatage (sous couche béton recouverte d’un tapis de produits hydrocarburés) et au vialitage (incorporation d’une émulsion de goudron-bitume à des matériaux cylindrés et une finition de surface par tapis gravillonné). Grâce à ces différents procédés, le circuit des 24 Heures a su, au fil des années, conserver sa position de laboratoire des technologies liées au développement et à la modernisation du réseau routier.
En 1926, 1927 et 1928 l’ACO organise le Tournoi de la Route sur la route du circuit (trois tronçons des Hunaudières avaient des revêtements différents) permettant aux dix sociétés (dont une suédoise) mises en concurrence de démontrer le bien fondé de leurs produits de revêtements routiers. En 1927, La Journée de la Route voit la venue de 300 personnalités sur le circuit. Représentants de ministères, de clubs automobiles ou encore de chambres de commerce, députés, sénateurs, préfets, ingénieurs et maires assistent à des démonstrations d’épandage de bithulite. D’abord réticent à adopter les techniques préconisées sur son circuit par l’ACO, le ministre des Transports de l’époque, André Tardieu, est finalement convaincu. La journée est un triomphe et les économies réalisées à l’échelon national grâce à l’adoption des techniques mancelles vont permettre de restaurer le réseau routier français en quatre ans au lieu des quarante qu’auraient nécessité les méthodes voulues jusqu’alors par l’Etat.
De nos jours, le revêtement fait l’objet d’une réfection tous les cinq-six ans avec un soin extrême sur le choix de la granulométrie. Le surfaçage au laser permet de faire varier le profil en travers aux différents endroits du circuit passant d’un profil « en toit » au Hunaudières aux profils en devers négatif (courbe du karting) ou positif (virage d’Indianapolis) afin de faciliter les écoulements d’eau pluviale.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS (D.R. / ARCHIVES ACO) - En haut et au centre : à l'issue des 24 Heures du Mans 1927, le gouvernement français a décidé d'adopter pour la rénovation de l'ensemble du réseau routier français les méthodes de l'ACO pour le revêtement du circuit. Ci-dessus : le marquage au sol visible sur cette photo symbolise l'autre spécificité du circuit des 24 Heures, avec une portion majeure du circuit utilisant des routes ouvertes à la circulation le restant de l'année.