CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS ⎮ Invaincu aux 24 Heures du Mans depuis 1998 et fournisseur unique de pneumatiques de la catégorie Hypercar, Michelin et ses 31 victoires se rapproche toujours un peu plus du record fixé à 34 succès par Dunlop depuis le début des années 1990. Histoire d’une suprématie, que peu d’autres manufacturiers auront réussi à perturber.
Ils sont ronds, ils sont noirs et restent un peu inconnus du grand public. Pourtant, dès 1923, les pneumatiques ont occupé une place prépondérante dans l’épreuve des 24 Heures du Mans. Ils doivent permettre aux voitures de parfaitement tenir la route, quel que soit le temps. Et répondre à deux critères a priori antinomiques : la performance et l’endurance.
Les manufacturiers de pneumatiques sont comme tous les industriels : il faut assurer la pérennité de l’entreprise et pour cela faire de la publicité, dont la compétition est un moyen évident. Qu’ils soient européens, comme les Anglais Dunlop ou Avon, le Français Michelin, l’Italien Pirelli, l’Allemand Continental, le Belge Englebert, ou américains comme Goodyear ou Firestone, une épreuve comme les 24 Heures du Mans est une formidable vitrine en cas de victoire. Comme disent nos amis américains : « Win on Sunday, sales on Monday », victoire le dimanche égale ventes le lundi !
La lutte est donc sévère entre manufacturiers. Hélas, un bon pneu sur une mauvaise voiture ne la fera pas gagner. En revanche un mauvais pneu sur une bonne voiture peut effectivement faire perdre…
Le Mans, jardin de Michelin et Dunlop
Créés à la fin du XIXe siècle, Dunlop et Michelin, deux entreprises familiales, sont les principaux rivaux en Europe. Leurs avancées technologiques les distinguent des autres manufacturiers.
Michelin s’impose à l’issue dès la première édition des 24 Heures avec une Lorraine Dietrich, une voiture également française. Mais ce sera la seule victoire avant-guerre du manufacturier clermontois.
Dunlop prend alors le relais. Une première salve de huit victoires entre 1924 et 1931 – dont les cinq de Bentley – puis quatre autres entre 1935 et 1939 placent la firme anglaise en position de force sur le terrain manceau. Seul Englebert interrompt cette série avec trois victoires consécutives entre 1932 et 1934. Pendant cette période, on juge à Clermont-Ferrand la compétition automobile trop dispendieuse et pas assez sérieuse pour s’y impliquer.
En 1949, pour la reprise après-guerre, c’est de nouveau Englebert qui l’emporte avec la Ferrari 166 MM. Mais très vite, Dunlop reprend sa position de leader au Mans. Six victoires dans les années 1950, puis cinq autres dans la première moitié des années 1960, ne laissent que des miettes à ses rivaux Englebert (1958), Pirelli (1954), Continental (1952) et Avon (1959).
Goodyear et Firestone, les Américains en piste
Le début de la lutte féroce Ford contre Ferrari va inscrire dès 1964 les manufacturiers américains sur la piste sarthoise. Ainsi Goodyear va figurer au palmarès pour les années 1965 (alors qu’il équipe une Ferrari), 1966 et 1967 avec les Ford Mk II et Mk IV. Firestone prend le relais en 1968 et 1969 avec les inoubliables GT40 Gulf de John Wyer, puis enlève également l’édition 1971 avec la Porsche 917 Martini. Goodyear marque malgré tout de son empreinte 1970, puis les années de 1972 à 1976 (Matra, Mirage, Porsche), avant de se retirer plus ou moins officiellement.
Durant la fin de ces années 1960 et du début des années 1970, le pneu de compétition évolue drastiquement. Tout est mis en œuvre pour la recherche d’adhérence : carrosseries, châssis, suspensions, mais aussi pneumatiques y contribuent. Ces derniers voient leur largeur augmenter, surtout à l’arrière pour passer au sol une puissance de plus en plus grande, et leurs sculptures disparaitre pour aboutir aux pneus slicks pour route sèche, auxquels s’ajoutent des pneus pluie avec des sculptures pour piste mouillée. Pour obtenir plus d’efficacité en virages, la hauteur du flanc diminue. Les carcasses se font plus rigides et les types de gommes de plus en plus tendres, impliquant des changements de roues plus fréquents en course. Pour permettre d’améliorer l’aérodynamique, le diamètre des jantes descend jusqu’à 13 pouces, pour remonter ensuite à 15 ou 16 pouces pour offrir plus de place aux freins situés dans les jantes.
Michelin, le pneu radial au pouvoir
A partir de 1975, sous l’impulsion de son iconique directeur de la compétition, Pierre Dupasquier, et comptant sur l’avantage structurel de son pneumatique radial, Michelin décide de revenir à la compétition par l’endurance. La firme clermontoise accompagne la progression des Renault-Alpine, en prototypes 2 litres tout d‘abord, puis avec les A442 turbo ensuite. La victoire de 1978 marque les esprits. Ce premier succès d’un radial au Mans apporte la preuve que cette technologie représente l’avenir du pneumatique automobile, et la concurrence va petit à petit se mettre au diapason. Le passage de Renault à la Formule 1, initié dès l’été 1977, puis un partenariat avec Ferrari en 1978 réoriente la politique de Michelin vers cette discipline.
Ainsi donc, le champ était de nouveau laissé libre à… Dunlop. Le manufacturier anglais est un solide partenaire du programme Porsche, de la 936 à la 962 C en passant par la 956 : pas moins de dix victoires entre 1977 et 1987 avec les prototypes du Groupe 6 et les inoubliables Groupe C. Seule la Rondeau de Rondeau/Jaussaud permet à Goodyear d’interrompre cette série d’une seule et unique victoire en 1980.
A la fin de cette décennie, Michelin revient aux affaires en participant cette fois au programme Sauber Mercedes (initialement sous le nom de Kouros, puis Sauber et enfin Mercedes), pour finir sur la plus haute marche du podium en 1989, non sans avoir connu des difficultés d’éclatement de pneumatiques sous la pression énorme de l’effet de sol de ces voitures dans les années préparatoires.
Goodyear étant également revenu dans la compétition, une superbe lutte à trois va avoir lieu dans les années 1989 à 1999. Michelin s’impose à cinq reprises, contre quatre à Goodyear et une à Dunlop. A noter que la victoire de victoire de la McLaren F1 GTR en 1995 s’est dessinée grâce à de nouveaux pneus pluie apportés par Michelin qui surclassent tous leurs adversaires.
Michelin et Dunlop ou l'art de la communication
A partir de 1999, Audi choisit alors Michelin pour développer sa participation aux courses d’endurance et aux 24 Heures du Mans. Ils mettront ensemble la main sur la quasi-totalité des victoires de 2000 à 2014, ne laissant échapper que les éditions 2003 et 2009, respectivement remportées par Bentley et Peugeot, avant que Porsche puis Toyota ne prennent le relais à partir de 2015. Plus aucun concurrent sérieux à la victoire ne souhaite s’équiper ailleurs que chez Michelin, même si une lutte féroce continue dans la catégorie des équipes privées LMP2 entre la maison de Clermont-Ferrand et Dunlop. Les stratégies commerciales voient Dunlop disparaitre de la compétition automobile en Europe au profit de Goodyear – les deux manufacturiers font aujourd’hui partie du même groupe. Enfin, depuis l’arrivée des Hypercar, la règlementation impose un manufacturier unique par catégorie. Après appels d’offres, Michelin est choisi pour les Hypercar et Goodyear pour le plateau LMP2.
Côté image de marque, Dunlop avait réussi un grand coup historique en proposant à l’ACO dès 1923 l’installation d’une passerelle portant son nom pour permettre aux spectateurs de passer des deux côtés de la piste. La publicité étant bannie durant une vingtaine d’années, la passerelle est banalisée. Mais en 1949, Dunlop fait rebâtir une gigantesque passerelle de 18 m de long en acier et bois au début de la courbe à la sortie des stands. Elle donnera même son nom au virage, puis, à la chicane installée dans les années 1990. Elle est depuis universellement connue, y compris au cinéma.
Pour ne pas être en reste, Michelin a profité de l’apparition des deux ralentisseurs sur la ligne droite des Hunaudières en 1990 pour se faire attribuer le nom de la deuxième chicane. Hélas située dans une zone interdite au public, elle ne connaitra pas la notoriété de la passerelle et de la courbe Dunlop. Pour que le nom de Michelin soit plus lié à la course, il faut ajouter un énorme panneau lumineux surplombant partiellement la ligne droite des stands et affichant le classement de la course en temps réel.
Et précisément en piste, Michelin grignote petit à petit la position de Dunlop, dont le compteur est bloqué depuis 1991 au record de 34 victoires. Les Clermontois en sont maintenant à 31. Le record ne tombera donc pas pour le Centenaire…
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS 1924-2022 - DE HAUT EN BAS : En 2022, Michelin a remporté sa 25e victoire consécutive aux 24 Heures du Mans grâce à Toyota (n°8) ; Dunlop a été associé aux séries victorieuses de Bentley (n°8) et Jaguar (n°4), ici à l'image en 1924 et 1956 ; en 1978, la victoire de Michelin avec Renault-Alpine (n°2) en 1978 est aussi la première du pneu à carcasse radiale, tandis que Dunlop est associé en 1991 à Mazda (n°55) pour la première victoire d'un constructeur japonais au Mans, qui est aussi la 34e et dernière en date du manufacturier de pneus britannique ; Dunlop et Michelin figurent également en bonne place dans les infrastructures du circuit, avec pour le premier la mythique passerelle qui porte son nom, le second avec ce panneau affichant en temps réel le classement de la course dans la ligne droite des stands.