Les grands ingénieurs : dix cerveaux à la puissance 24
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Les grands ingénieurs : dix cerveaux à la puissance 24

CENTENAIRE DES 24 HEURES – DES MACHINES ET DES HOMMES ⎮ Dans l’imaginaire collectif des 24 Heures du Mans, le pilote est le héros qui défie le jour ou la nuit, le soleil ou la pluie. Leurs noms sont indissociables des marques pour lesquelles ils ont gagné. Mais n’oublions pas les ingénieurs qui, de la table à dessin (ou l’écran d’ordinateur) au muret des stands, ont œuvré à la conception des voitures qui ont fait la légende des 24 Heures. En voici dix, dont l’imagination a valu à leurs voitures une belle place dans la saga sarthoise.

A l’instar des teams managers et mécaniciens, les ingénieurs sont indispensables dans la quête de la victoire. Souvent, ils ne sont guère célèbres, mais tout aussi passionnés par la course que les pilotes à qui ils confient leurs voitures. Et si la plupart ont été oubliés de la mémoire collective, certains noms méritent pourtant d’être rappelés.

Vittorio Jano, entre Alfa Romeo et Ferrari

Avant-guerre, citons pour commencer Vittorio Jano, motoriste italien œuvrant parfois aussi dans le domaine des châssis.

Il est recruté par Enzo Ferrari, alors team manager d’Alfa Romeo. On lui doit bon nombre de moteurs, notamment le 6 cylindres en ligne et surtout le 8 cylindres en ligne de 2,4 litres à compresseur de la marque milanaise, équipés de deux arbres à cames en tête, peu courant à l’époque. Ainsi motorisées, les Alfa Romeo 8 C remportent quatre victoires consécutives de 1931 à 1934.

Également avant-guerre, nous pouvons souligner deux français dont les noms ont la consonance italienne de leurs origines.

Bugatti et Gordini, une histoire italo-française

Chacun à sa manière, Ettore Bugatti, indissociable de son fils Jean, et Amédée Gordini ont écrit de grandes pages de l’histoire des 24 Heures.

Ettore et Jean Bugatti se vouent à une recherche de la performance absolue. « Ce qui a été déjà inventé appartient au passé, seules les innovations sont dignes d’intérêt », affirmait Ettore. Cela se traduit par des voitures de route associant performances et luxe sans pareil. Mais sur la piste, la recherche de la vitesse est permanente, sanctionnée par d’innombrables victoires sur tous les circuits du monde. En 1937 et 1939, les Bugatti obtiennent ainsi la consécration au Mans avec des voitures voulues par Ettore et dessinées par Jean.

De son côté, Amédée Gordini débute en préparant pour lui-même des Fiat dans les années 1930. En 1939, son sens de la mécanique et du pilotage lui permet de signer une victoire de catégorie avec une Simca 8. Après la guerre, il fonde à Paris, boulevard Victor, son « officine » de constructeur de voitures de course et revient au Mans en 1952 avec la T15 S, une barquette à moteur 6 cylindres de 2.5 litres. En 1953, c’est une nouvelle victoire de classe assortie d’une sixième place, performance renouvelée en 1954.

Ce seront, hélas, les seuls faits d'armes des Gordini, régulièrement trop à court de budget pour s’assurer une fiabilité sur 24 heures. Gordini, appelé familièrement « le sorcier » s’associe dans les années 1960 à Renault pour permettre à Alpine, équipées de moteurs Renault-Gordini, d’enlever de nombreuses victoires de catégories, ainsi qu'aux indices de performance et énergétique. En 1978, quelques mois avant sa disparition, il a enfin la satisfaction de voir une Renault-Alpine équipée d’un V6 Gordini turbocompressé sur la plus haute marche du podium manceau.

John Horsman, l’alter ego de John Wyer

Depuis le milieu des années 1950, un tandem anglais composé de John Wyer (directeur puis propriétaire d’écurie) et John Horsman (ingénieur diplômé de Cambridge et directeur technique) écume les circuits de l’endurance (et de la F1). En charge du programme Aston Martin qu’ils mènent à la victoire en 1959, ils sont ensuite impliqués dans les débuts du programme Ford GT40, avant d’être écartés au profit de Carroll Shelby pour les Mk II et Mk IV.

Mais dès 1968, Wyer et Horsman revisitent la GT40 Mk I pour deux victoires consécutives au Mans en 1968 et 69. Sentant la fin de cette vénérable GT40, conçue en 1963, ils passent un accord avec Porsche pour faire courir des 917 en 1970 et 71. C’est à John Horsman que l’on devra la forme inoubliable de la 917 K (Kurzheck, désignant la version à capot arrière court), basée sur l’observation de l’absence de moustiques écrasés à l’arrière de la carrosserie originale.

Mais les 917 victorieuses aux 24 Heures ne seront pas celles de Wyer, à l’inverse du film Le Mans de Steve McQueen. Une fois les voitures de la catégorie Sport 5 litres interdites au profit des barquettes prototypes, Horsman se remet à la planche à dessin pour concevoir les Mirage, dont l’une s’impose en 1975.

Ferdinand Piëch et Norbert Singer, Porsche pour la victoire

Du côté allemand, un brillant ingénieur, issu de la famille Porsche par sa mère, se voit attribuer le programme sportif de la firme de Zuffenhausen au milieu des années 1960. Ferdinand Piëch fait alors table rase de ce qui se faisait en matière de carrosserie (la 904 GTS) pour développer sa lignée de prototypes, orientée pour obtenir de très hautes vitesses maximales : 907 et 908, puis 917. En revanche, motoriste de formation, il conserve et développe les moteurs à plat refroidis par air en six, puis huit et douze cylindres… Après bien des désillusions au Mans avec les 908, systématiquement battues par les Ford, il gagne avec les 917 en 1970 – sous les couleurs de l’écurie Salzburg financée par sa mère – et 71.

En mars 1970, Norbert Singer rejoint cette même équipe Porsche. Après le départ de Piëch chez Audi en 1972, il est chargé de l’ingénierie des différents modèles de Porsche de compétition. Son savoir-faire est impressionnant… Qu’on en juge : Porsche 936 (trois victoires en 1976, 77 et 81), 935 (une victoire en 1979), la 956 et 962 C (six victoires d’affilée de 1982 à 1987), jusqu’à la 911 GT1 qui signe en 1998 la seizième victoire au Mans de la marque allemande. Le tout avec une gentillesse et une bonhommie qui l’installent dans la légende.

F comme Forghieri et Ferrari

En Italie, en fin des années 1960 et début des années 1970, c’est Mauro Forghieri, formé à l’Université de Bologne, qui mène les programmes Ferrari. Engagé par Enzo Ferrari en 1960 pour s’occuper des moteurs, il se forme aux côtés de Carlo Chiti, Vittorio Jano et Romolo Tavoni, qui quittent Maranello en 1961. Ferrari confie alors à Forghieri la gestion sportive de la Scuderia. Il sera ainsi à l’origine des programmes 250 P, 330 P, 312 P, 512 S puis 512 M et enfin 312 PB. Ces dernières sont les grandes rivales des Matra, pour une bagarre homérique en 1973. Victorieux au Mans avec les 250 et 275 P en 1963 et 1964 puis la 250 LM en 1965, Mauro Forghieri accompagnera également le redressement de Ferrari en Formule 1 à partir de 1974, après que le cheval cabré ait mis un terme à son engagement officiel en prototypes.

Gérard Ducarouge et André de Cortanze, deux gloires françaises

Chez Matra, justement, c’est de nouveau un binôme d’ingénieurs qui allait mener les bleus à la victoire. Jean-Luc Lagardère en tant que dirigeant et organisateur, et Gérard Ducarouge à la manœuvre, de la conception à la gestion sportive. Ils vont ramener le trophée manceau en France trois années consécutives, en 1972, 73 et 74, au son de trompette inoubliable du merveilleux V12 3 litres développé par un troisième ingénieur, Georges Martin, ancien de Simca.

Les années 1990 voient l’émergence d’un autre ingénieur français. Son père était un pilote de bon niveau, puis membre de l’organisation… des 24 Heures du Mans. Après de brillantes études d’ingénieur, André de Cortanze se lance dans la compétition au Mans avec une Porsche 904 GTS qui, bien que qualifiée, ne pourra pas prendre le départ.

Il débute alors chez Alpine en 1966, en tant que chef de projet et pilote au Mans, mais abandonne à mi-course. Il reçoit son premier drapeau à damier en 1967, avec une Alpine 1300, puis un deuxième en 1968 avec l’Alpine A220 3 litres. Après une dernière tentative infructueuse en 1970 sur Porsche 908, il raccroche casque et gants pour se consacrer exclusivement à ses tâches d’ingénieur. Il œuvre sur le programme Alpine A441 2 litres depuis 1975 jusqu’à la A442B turbo victorieuse au Mans en 1978.

Recruté ensuite par Jean Todt chez Peugeot en 1984, il dirige l’équipe d’ingénieurs Peugeot Sport pour le programme 205 Turbo 16 de rallye puis préside à la naissance de la 905, victorieuse au Mans en 1992 et 1993. Après quelques années passées en Formule 1, il revient au Mans pour Toyota, avec la GT-One qui a marqué son temps et passe tout près de la victoire en 1998 et 1999. Il termine sa carrière en officiant chez Pescarolo Sport dans les années 2000.

Tony Southgate, le génie éclectique

Mais revenons aux années 1980. Jaguar se décide à revenir au Mans avec la série des XJR-9 à XJR-12 à moteur V12 et recrute Tony Southgate, un touche-à-tout du sport automobile. On lui doit notamment la monoplace Eagle (dont le fondateur est Dan Gurney, vainqueur des 24 Heures en 1967) de Bobby Unser, victorieuse à Indianapolis en 1968, la BRM P160 de Jean-Pierre Beltoise victorieuse à Monaco en 1972, puis les magnifiques Shadow de Formule 1 et CanAm ainsi que la Ford C100 en endurance.

Il dessine donc les deux Jaguar victorieuses en 1988 et 90. Il quitte ensuite le TWR-Jaguar et collabore à la création des Toyota TS010, puis de la Ferrari 333 SP et enfin des Audi R8R et R8C en 1999, qui déboucheront sur la lignée des prototypes Audi R8 (cinq victoires de 2000 à 2005), avant de se retirer au terme de cette carrière bien remplie.

Et bien d’autres encore

Une nouvelle fois, impossible de parler de tous les ingénieurs qui ont, de tout temps, marqué les 24 Heures du Mans de leurs créations. Citons encore Charles Deutsch, Gérard Welter, Manfred Jankte, Wolfgang Ullrich, Ulrich Baretzky, Carlo Chiti, Jean Pierre Boudy, Harvey Postlethwaite, Gordon Murray, Bruno Famin, Nigel Stroud, Gioacchino Colombo, Ferry Porsche, Vincenzo Lancia, Colin Chapman, Ross Brawn, Rudolf Uhlenhaut, Eric Broadley, Len Bailey…

Aujourd’hui, la profession a évolué vers un travail plus collectif. Alors qu’autrefois on ne trouvait qu’un ingénieur par équipe, on en compte aujourd’hui plusieurs par team et même par voiture : ingénieurs concepteurs, ingénieurs d’exploitation ou de piste, ingénieurs performances, ingénieurs stratégie… La liste s’allonge et permet à toutes ces personnes d’assouvir leur passion pour les 24 Heures du Mans.

PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS 1931-1998 - DE HAUT EN BAS : L'Alfa Romeo 8C devait son moteur à Vittorio Jano (n°12, ici en 1932) ; Jean Bugatti décèdera pendant l'été 1939, quelques semaines après la deuxième victoire de la marque aux 24 Heures du Mans (n°1) ; en 1937, la Simca d'Amédée Gordini est l'une des plus petites cylindrées jamais vues aux 24 Heures du Mans (n°59) ; née de l'ambition de Ferdinand Piëch de remporter les 24 Heures du Mans, la Porsche 917 (ici en 1970) doit son fameux capot arrière court à l'ingénieur John Horsman, sous les couleurs de l'écurie Gulf de John Wyer (n°21) ; plus de deux décennies durant, Norbert Singer a apposé sa griffe sur les Porsche victorieuses aux 24 Heures du Mans (ici la 911 GT1 de 1998, n°26) ; les Ferrari 312 PB de Mauro Forghieri sur la première ligne des 24 Heures 1973 (n°15 & 16) ont fait face aux Matra de Jean-Luc Lagardère, Gérard Ducarouge et Georges Martin (n°10, 11 & 12) ; après la Peugeot 905, André de Cortanze signe avec la Toyota GT-One une autre voiture marquante des années 1990 (n°29) ; la Jaguar XRJ-12 lauréate des 24 Heures du Mans 1990 (n°3) est une évolution de la XJR-9 LM de 1998, due au crayon de Tony Southgate.

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