CENTENAIRE DES 24 HEURES – DES MACHINES ET DES HOMMES ⎮ Au-delà de son palmarès et de sa longévité, le parcours d’Henri Pescarolo aux 24 Heures du Mans est aussi une formidable histoire humaine. Tour d’horizon en quatre chapitres entre détermination, victoires, rencontre, transmission et amitié.
Quatre victoires aux 24 Heures du Mans (1972-73-74-84), plus de quatre décennies de présence dans la Sarthe, en tant que pilote de 1966 à 1999 (33 participations, record en la matière) puis patron d’écurie jusqu’en 2012. Mais l’exceptionnelle richesse du parcours d’Henri Pescarolo va bien au-delà de ces quelques chiffres, aussi impressionnants soient-ils.
1968 : un soir de pluie aux 24 Heures du Mans
Deux ans après ses premières 24 Heures du Mans,, Henri Pescarolo entre dans la légende des 24 Heures bien avant sa première victoire, par une chevauchée nocturne sous les hallebardes, au volant d’une Matra en panne d’essuie-glace. Au lever du jour, le pilote français et son coéquipier Johnny Servoz-Gavin sont deuxièmes, mais renoncent à trois heures de l’arrivée, à la suite d’une crevaison ayant provoqué un début d’incendie : « Nous avions énormément travaillé sur la voiture, la première à disposer d'un moteur conçu par Matra, qui remplaçait le bloc BRM de 1966 et 1967. En 1968, nous disposions enfin d'une voiture nous permettant de jouer les premiers rôles. Je trouvais vraiment stupide d'abandonner sur un problème d'essuie-glace. Lorsque Jean-Luc Lagardère m'a demandé si je souhaitais rouler quand même, je n'ai pas hésité une seule seconde. Je suis parti en me disant que chaque tour pouvait être le dernier, parce qu'il paraissait impossible de conduire dans ces conditions. Lorsque je rattrapais une voiture, je voyais vaguement ses feux arrière rouges dans les projections d'eau et j'étais incapable de me rendre compte si elle allait à droite, à gauche ou au milieu. Si je me trompais de côté pour la doubler, je me retrouvais dans l'herbe rendue humide à cause de la pluie, puis dans les arbres. Cette performance a été effectivement perçue comme exceptionnelle, mais mon but était de remettre la voiture là où elle devait être, c'est-à-dire en deuxième position. »
1984 : Pescarolo quatrième, Joest première
Pour sa première victoire avec Matra en 1972, Henri Pescarolo est associé au Britannique Graham Hill. L’année suivante, il accueille un nouveau coéquipier, Gérard Larrousse, pour deux nouvelles victoires en 1973 et 74, toujours avec le constructeur français. Il lui faut attendre dix ans pour retrouver la plus haute marche du podium sarthois.
En 1984, associé à Klaus Ludwig, il écrit une double page d’histoire : non seulement il devient le premier Français quadruple vainqueur des 24 Heures (rejoint par Yannick Dalmas depuis 1999), mais il inaugure le palmarès de Reinhold Joest, aujourd’hui le patron d’écurie le plus victorieux des 24 Heures : « Reinhold est quelqu'un que j'ai toujours beaucoup apprécié. Je l'ai d'abord connu en tant que pilote, et j'ai toujours suivi son parcours lorsqu'il est devenu patron d'écurie. Grâce à Moet & Chandon, le partenaire de mes aventures aéronautiques, j'ai obtenu un budget et je l'ai contacté, parce qu'il disposait d'une Porsche 956, la voiture qui avait les plus grandes chances de gagner à nouveau au Mans. Je suis donc pour la circonstance devenu un pilote payant, car le budget qu'il fallait amener était assez conséquent. Je me suis retrouvé au sein d'une écurie très compétente, en compagnie de Klaus Ludwig, un coéquipier qui marchait comme un avion. Nous avons gagné la course après une belle remontée consécutive à un problème de pompe à essence. Ce fut superbe, nous avons roulé à fond pendant toute la course pour rattraper le temps perdu. »
Un patron d’écurie entre passion et transmission
Après cette belle carrière de pilote, Henri Pescarolo favorise l’éclosion de jeunes talents. A la veille du Centenaire, le palmarès de certains de ses anciens pilotes ne manque pas d’allure, que ce soit au Mans ou dans d’autres disciplines. Benoît Tréluyer, Romain Dumas et Loïc Duval cumulent six victoires aux 24 Heures, Sébastien Bourdais a remporté les 12 Heures de Sebring et quatre titres en monoplace américaine Champ Car. Premier pilote suisse vainqueur dans la Sarthe, Marcel Fässler est lui aussi un ancien poulain d’Henri Pescarolo. Sans oublier en 2005 un débutant pas comme les autres, Sébastien Loeb, qui terminera deuxième l’année suivante.
D’autres ont suivi les traces d’Henri Pescarolo jusqu’à diriger une écurie. C’est le cas de Nicolas Minassian, ancien pilote Pescarolo Sport puis officiel Peugeot, aujourd’hui directeur sportif de l’équipe IDEC Sport, grand animatrice de la catégorie LMP2, titrée en European Le Mans Series en 2019 : « J’ai beaucoup appris d’Henri. Il a été pilote, et quand il nous parlait, il le faisait comme un pilote. Il y a aussi un respect personnel qui entre en jeu et une manière de parler aux pilotes qui faisait qu’on arrivait à sortir plus de choses de soi-même. Et de ce point de vue, Henri avait une équipe formidable, des gens qui auraient travaillé 24 heures sur 24 pour lui parce qu’il savait donner l’envie. C’est ce que j’ai retenu d’Henri dans mes activités actuelles de team manager : la manière de communiquer, et amener aussi la passion, car c’est aussi quelque chose que l’on ressent quand on parle avec Henri. La course automobile, c’est une passion, pas un travail. Pour ma part, je vais soutenir les pilotes et travailler de manière positive avec eux, mais aussi avec les ingénieurs et les mécaniciens, pour offrir au pilote la meilleure voiture possible. Tout le monde est important. »
Quand coéquipiers rime avec fidélité et amitié
Une autre caractéristique du parcours manceau d'Henri Pescarolo, c'est la fidélité au long cours, héritée de l'époque Matra : « J'ai eu des relations très profondes avec Jean-Pierre Beltoise, Johnny Servoz-Gavin et Jean-Pierre Jaussaud. C'était bien au-delà de l'amitié, car nous avons vécu ensemble toute l'épopée Matra. C'était un peu moins le cas dans les équipes étrangères, par exemple chez Jaguar, où nous étions en quelque sorte des mercenaires internationaux venus de tous les horizons du sport automobile. »
Petit-fils de la créatrice de mode Nina Ricci, Jean-Louis Ricci est associé à Henri Pescarolo en 1989, 90 et 92, pour la naissance d’une amitié : « Avec Jean-Louis, nous étions vraiment des amis, et nous avons véritablement choisi de faire les 24 Heures du Mans ensemble. Notre histoire d'amitié a commencé assez curieusement. A l'origine, il avait créé une écurie de course avec un châssis Spice et il m'a contacté pour le piloter. C'était étonnant, car Jean-Louis avait préféré piloter une des Porsche 962 C de Reinhold, avec Claude Ballot-Léna comme équipier, alors qu'il alignait une autre voiture pour sa propre écurie. Lorsqu'il m'a proposé de rouler avec lui, il s'est finalement rendu compte que les choses se passaient beaucoup mieux avec la Porsche. Puis nous avons poursuivi ensemble, en compagnie de Jacques Laffite, puis de Bob Wollek. D'une certaine manière, Jean-Louis a été l'un des initiateurs du mouvement des gentlemen-drivers tel que nous les connaissons aujourd'hui. Il le faisait avec beaucoup de coeur et de générosité, nous nous voyions régulièrement en dehors des courses et nos déplacements étaient des moments extraordinaires. »
De moments extraordinaires, la vie d’Henri Pescarolo n'en manque pas. Ils lui valent (encore aujourd’hui) auprès du public une cote d’amour transgénérationnelle dont peu de ses confrères peuvent se vanter.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : Henri Pescarolo en 1973, sur la route de sa deuxième victoire mancelle après un long duel avec Ferrari ; en 1968, la Matra d'Henri Pescarolo et Johnny Servoz-Gavin portait un numéro très prisé au Mans : le 24 ; en 1984, Henri Pescarolo (ici au volant) et l'Allemand Klaus Ludwig ont constitué le dernier équipage de deux pilotes vainqueur des 24 Heures ; pendant les années 2000, l'écurie d'Henri Pescarolo signe trois podiums consécutifs en 2005 (2e), 2006 (2e, ici à l'image avec au volant le champion du monde des rallyes Sébastien Loeb) et 2007 (3e).