CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS ⎮ Durant les années 1950 et au début des années 1960, les constructeurs de voitures s’intéressent beaucoup aux turbines pour propulser les véhicules. Elles se généralisaient à cette époque sur les aéronefs et une application terrestre suscitait bien des espoirs d’ingénieurs, notamment en sport automobile et particulièrement sur le circuit des 24 Heures du Mans.
Une turbine est constituée d’un rotor muni d’ailettes qui tourne à l’intérieur d’un stator. Une chambre de combustion en amont (ou en périphérie) permet de créer de l’air chaud qui vient entraîner le rotor et générer ainsi un mouvement rotatif exploitable.
Le premier avantage de la turbine est de ne pas avoir à transformer le mouvement alternatif des pistons en mouvement rotatif pour entraîner la boîte de vitesses et les roues par un système bielle/manivelle, appelé vilebrequin, tel qu’on en trouve dans les moteurs traditionnels. La turbine génère en effet directement un mouvement rotatif.
Ainsi il y a très peu de frottements, puisque le rotor est équipé de roulements au lieu de paliers sur le vilebrequin, et qu’il n’y a aucun frottement de pistons sur les cylindres (via les segments). Cerise sur le gâteau, on constate l’absence à peu près totale de vibrations !
Enfin, la turbine fonctionne parfaitement par toute température avec à peu près tout ce qui peut brûler, mélangé avec de l’air : essence, gasoil, kérozène, huiles, etc.
Au chapitre des difficultés de cette technologie, le poids et un gros appétit en carburant, devaient s’aplanir avec un développement rigoureux spécifique pour l’automobile.
Face à tant d’avantages, les constructeurs ont effectué des recherches dans les années 1950 et présenté des prototypes comme la Socéma Grégoire, puis la Renault Etoile Filante françaises, la Chrysler Turbine Car américaine ou encore la Rover Jet 1 anglaise. C’est cette dernière firme qui va lancer la turbine aux 24 heures du Mans.
1963-1965 : Rover, BRM et deux champions du monde
Toujours à l’écoute des nouvelles technologies pour ses 24 Heures du Mans, l’ACO offre en 1963 une bourse de 25 000 F à toute voiture équipée d’une turbine qui parcourrait plus de 3 600 km durant l’épreuve.
Déjà au fait de tels moteurs par son travail sur la Jet 1, Rover se lance sur le projet, avec pour la partie châssis l’appui du constructeur BRM, titré en Formule 1 avec le Britannique Graham Hill en 1962, et arrive aux essais préliminaires d’avril avec une voiture brut de décoffrage, car non peinte.
Avec une turbine Rover de 150 ch environ, elle affiche rapidement des temps intéressants et une vitesse de pointe de 250 km/h. Bien sûr, Graham Hill et l’Américain Richie Ginther, pilotes officiels de BRM en F1, se plaignent un peu de l’absence de frein moteur et de reprises molles en sortie de virage, mais c’est la consommation qui va le plus pénaliser la voiture couleur alu qui deviendra verte pour la course.
Pour cette raison, elle devra disposer de deux réservoirs de 110 litres alors qu’un seul est normalement autorisé. Conscient de l’enjeu, l’ACO l’accepte néanmoins hors classement des 24 Heures et lui attribue le n°00 pour le spécifier aux spectateurs. Ceux-ci sont séduits par cette voiture qui siffle comme un avion au milieu des V8 et V12 rugissants. Et cette Rover-BRM à turbine, partie 30 secondes après toutes les autres voitures pour des raisons de sécurité, va tenir son rôle et assurer sa partition. Au bout de 24 heures d’une belle régularité, elle a parcouru 4 172 km. Si elle avait pu concourir normalement, elle aurait signé une belle septième place, derrière un top 6 entièrement constitué de Ferrari.
Il faut deux ans à Rover pour assimiler les enseignements de cette première participation. Et en 1965, une nouvelle voiture est prête. Le travail sur la consommation, avec l’adoption d’un échangeur d’air, permet de se satisfaire d’un seul réservoir de 110 litres et la voiture est donc régulièrement engagée pour le classement général, avec le n° 31. Mais la puissance a été bridée à moins de 150 ch. Cette règle d’équivalence établie par l’ACO la classe ainsi en catégorie 2 litres.
Construit sur le châssis de la version de 1963 et d’aspect beaucoup plus moderne, c’est un coupé qui aurait bien pu préfigurer une voiture de petite série, en une manière de supercar avant l’heure. Malheureusement, plus volumineuse et donc moins aérodynamique que la voiture de 1963, elle ne parvient pas à en reproduire les performances. Toujours pilotée par Graham Hill, associé cette fois au futur triple champion du monde Jackie Stewart, lui aussi sous contrat BRM à cette époque, elle finit la course en dixième position sans rencontrer d’autre problème que la chaleur à bord dégagée par la turbine, mais en parcourant 357 km de moins que sa soeur aînée de 1963. Et la meilleure 2 litres, la Porsche 904 GTS, aura parcouru près de 700 km de plus…
Faute de budget pour un développement qui s’annonce encore plus onéreux, Rover et BRM en restent là pour le programme « 24 heures ».
1968 : Howmet, UN deuxième souffle ET UNE DEUXIÈME VIE
Il faut attendre 1968 pour entendre les turbines souffler à nouveau dans les Hunaudières… Sous la houlette de Ray Heppenstall, team manager mais aussi pilote, Howmet Corporation et Continental Aviation Engineering créent un joli coupé équipé d’une turbine de 330 ch inscrite en catégorie 3 litres par le jeu des équivalences. A titre de comparaison, les nouvelles Porsche 908 d’alors (dont un exemplaire signe la première pole position sarthoise de la marque) développent environ 380 ch.
Hélas, si la consommation de kérozène reste le principal point d’attention, le châssis manque également de rigidité. Les deux voitures manquent de performance (20e et 24e à l’issue des essais) et disparaissent à la neuvième heure, l’une sur accident et l’autre sur une rupture de roulement. Il n’y aura malheureusement pas de suite.
Mais depuis 2008, la Howmet TX connaît une deuxième vie dans le cadre de Le Mans Classic, grâce à Xavier Micheron : « Le programme Howmet s’est déroulé dans le cadre d’un hobby. Puis un jour j’ai changé de vie professionnelle et je me suis dit que j’avais envie de me consacrer pleinement à ces voitures, de créer Ascott Collection, et de faire du négoce de voitures exceptionnelles : principalement des voitures de course, mais aussi des routières quand elles sont exceptionnelles. A l’origine, je cherchais un prototype Porsche, disons 906, 907 ou 910. Puis j’ai découvert que le châssis 2 de la Howmet était en vente aux Etats-Unis. Elle avait été restaurée, mais toute la partie moteur avait disparu. Une des spécificités de cette voiture est qu’on avait modifié la turbine de manière à en quasiment éliminer le temps de réponse. Une autre signature de la Howmet est de disposer de trois pots d’échappement : deux pour la turbine et un pour l’évacuation des gaz, ce qui permet justement de ne pas avoir de temps de réponse. Il m’a fallu deux ans et demi pour retracer les sources pour sa remise en état… et il a également fallu trouver les personnes compétentes et motivées pour cela ! Ce fut aussi une superbe aventure et une véritable consécration d’avoir posé la voiture pour la première fois sur le circuit des 24 Heures du Mans lors de Le Mans Classic 2008. La Howmet se conduit comme une voiture automatique, d’autant plus qu’elle n’a pas de boîte de vitesses, mais elle nécessite une certaine adaptation. La voiture est extrêmement efficace, mais tous les repères, qu’il s’agisse de bruit ou de sensations, sont très différents par rapport à une voiture à moteur à pistons, ne serait-ce justement que par l’absence de boîte de vitesses, qui peut servir de repère sur un circuit. Sur la Howmet, j’utilise principalement le compteur de vitesse pour me repérer. Je dirais que cette voiture et moi sommes de vieux amis, c’est une histoire de quinze ans. En fait, la Howmet, ce serait le slogan d’Ascott Collection : l’exceptionnel par passion ! (rires) »
Le mouvement rotatif, alors généré par la turbine, ne réapparaît au Mans qu’en 1973, mais sous forme du moteur rotatif développé par Mazda sur un châssis Sigma… Mais cela, c’est une autre histoire à venir !
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : Richie Ginther au volant de la première Rover-BRM à turbine en 1963 (n°00), la deuxième Rover-BRM de 1965 (n°31) et les deux vies de la Howmet à Turbine en 1968 puis dans le cadre de Le Mans Classic, sous les couleurs d'Ascott Collection.