CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS ⎮ Depuis 2012, aucune victoire des 24 Heures du Mans au classement général n’a échappé à la motorisation hybride. Après les prototypes LMP1, cette technologie est aujourd’hui au cœur de la nouvelle catégorie reine Hypercar, avec comme pionnière la Toyota GR010 HYBRID, victorieuse des éditions 2021 et 2022.
Les années 1975 à 2010 sont marquées par la montée en puissance du moteur turbocompressé. Cette technologie avait pour avantage d’obtenir des puissances exceptionnelles avec des moteurs de petite cylindrée.
A partir du début des années 2010, la montée de la pensée écologique commence à sensibiliser les constructeurs automobiles. Le véhicule électrique en est encore à ses débuts, limité par l’autonomie et la durée de recharges des batteries. La voiture hybride promet alors d’assurer une transition en douceur entre les véhicules thermiques historiques et les électriques de l’avenir... Toyota avait lancé sa Prius et les autres constructeurs avaient tous des projets dans les cartons.
Audi et Peugeot veulent mettre en avant cette technique par l’intermédiaire de la compétition, simultanément avec l’arrivée des modèles de série. Ce qui va transformer l’univers des courses d’endurance.
Dans les années 1980, et même dès 1975, l’ACO avait essayé de fixer des règles de consommation pour limiter la gloutonnerie des voitures en carburant. Reprenant ces idées, l’ACO publie un règlement en 2012 acceptant des voitures hybrides.
Hybride ? Mais quelles techniques se cachent derrière ce terme ?
Volant d’inertie vs batterie
Pour diminuer la consommation des moteurs à carburant fossile (et par conséquent les émissions de CO2), les ingénieurs cherchent à l’aider dans les phases durant lesquelles il ne peut pas fonctionner de manière optimale, lors des reprises à bas régime d’une part. Puis aussi en apportant de l’énergie supplémentaire à haut régime pour augmenter la puissance là où elle commence à chuter. On peut dès lors soit garder le même moteur thermique et augmenter le couple et la puissance avec le moteur électrique, soit réduire la cylindrée du moteur thermique sans perdre en performances.
Tous comprennent très vite compris que l’électricité est une bonne manière d’aider le moteur thermique. Un moteur électrique délivre un couple constant dès le 1er tour/minute, alors que le moteur thermique voit son couple maximum atteint plutôt entre 3000 et 4500 tr/min. Il suffit donc de demander au moteur électrique d’aider avec son couple sur ces régimes-là. Et au-delà pour apporter en complément sa puissance.
Il faut maintenant alimenter ce moteur électrique. Et pour cela stocker à bord de la voiture de l’énergie qui sera distribuée ensuite au moteur électrique, et assurer la recharge de ce stockage pour l’accélération suivante. Deux systèmes entrent en concurrence.
Certains pensent à une solution mécanique. Un volant d’inertie, entrainé par des arbres de roues au freinage jusqu’à plus de 40 000 tr/mn, restitue ensuite l’énergie emmagasinée sous forme électrique. Porsche a présenté une 911 Hybrid en 2011 aux salons de Paris et de Genève et l’a soumis à tous les tests possibles et imaginables dans l’optique de la compétition et de la série. Mais on se rend très vite compte des limites du système : la puissance restituée est limitée, la durée de la recharge au freinage insuffisante pour garder un bon potentiel pour le virage suivant, et l’effet gyroscopique du volant d’inertie est susceptible de perturber la tenue de route…
D’autres, comme Audi ou Peugeot, font le choix des batteries. Pendant les phases de freinage, le moteur électrique se transforme en un générateur produisant de l’électricité, laquelle est stockée dans des batteries. Le poids des batteries correspond à celui du volant d’inertie, mais elles sont beaucoup faciles à installer dans la voiture. En jouant sur leur position, il devient possible d’équilibrer le poids de la voiture à 50/50% entre les trains avant et arrière. Et une fois maitrisé le cycle de charge/décharge, l’ensemble moteur-générateur et les batteries s’avèrent être la solution idéale.
Dix ans de victoires pour la technologie hybride
Pour la saison 2012, Audi et Peugeot avaient affuté une R18 e-tron et une 908 Hybrid pour le championnat et les 24 heures. Hélas ! L’affrontement n’a pas eu lieu, Peugeot ayant au dernier moment renoncé à son engagement. Et l’Allemande signe en 2012 la première victoire d’une voiture hybride aux 24 Heures du Mans, comme elle l’avait fait avec un moteur diesel (R10 TDI en 2006), ou encore auparavant avec un moteur à injection directe d’essence (R8 TFSI en 2000).
Dès lors l’ACO enrichit le concept d’hybridation des prototypes LMP1 hybrides. En tenant compte de la quantité d’énergie complémentaire que peut apporter la partie électrique par rapport au moteur thermique, l’instance dirigeante crée des échelles de consommation autorisées pour telle ou telle voiture, en la contrôlant à chaque tour grâce à la télémétrie.
La puissance maximale de cet ensemble de moteurs thermique et électrique, ce que l’on appelle souvent en jargon technique franglais le powertrain, ou unité de puissance, est maintenant limitée à 520 kW (soit 707 ch), dont la partie électrique appelée MGU-K (K pour Kinetic ou énergie cinétique) ne peut pas dépasser 200 kW (soit 272 ch). Le constructeur peut alors choisir entre une Hypercar à moteur thermique seul (Glickenhaus), ou une voiture mêlant moteur thermique et électrique (Toyota, Peugeot, Ferrari, Cadillac, Porsche). Ces derniers ont en outre la possibilité de placer le MGU-K sur le train arrière, ou les roues avant, la voiture devenant alors une quatre roues motrices intermittente (option choisie par Toyota et Peugeot). Mais le MGU-K ne peut se déclencher au-dessous de 120 km/h (190 sous la pluie).
Ce nouveau chapitre de l’évolution des motorisations en endurance est encore en train de s’écrire dans le grand livre des 24 Heures du Mans. Depuis 2012, seules des voitures hybrides l’ont remporté : trois victoires pour Audi (de 2012 à 2014) et Porsche (de 2014 à 2017) et enfin cinq pour Toyota de 2018 à 2022. Série en cours…
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS 2012-2021 - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : Généalogie des prototypes hybrides vainqueurs des 24 Heures du Mans avec l'Audi R18 e-tron quattro (n°1), la Porsche 919 Hybrid (n°2), la Toyota TS050 HYBRID (n°8) et la Toyota GR010 HYBRID (n°7), première Hypercar victorieuse en 2021.