CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS ⎮ Aujourd’hui, la règlementation a donné la réponse à une question souvent posée au fil de l’histoire des 24 Heures et de l’évolution des voitures : l’utilité du pare-brise. Sa présence/absence a souvent été tributaire à la fois de la configuration des voitures, de contingences techniques et d’obligations réglementaires.
En 1923, les voitures doivent effectuer au minimum cinq tours avec la capote installée. Et les pare-brises sont donc nécessaires durant ces cinq tours. Ensuite les concurrents étaient libres de les abaisser… ou pas. Or en cette année 1923, la pluie et même la grêle vont provoquer la désintégration d’une partie de la piste. Celle-ci avait libéré les pierres de la sous-couche, avec pour conséquence une destruction massive de phares, pare-brises et autres radiateurs. Une leçon retenue en 1925 chez Chenard et Walcker, qui substitua un simple grillage au pare-brise de son célèbre tank.
Beaucoup de pare-brises sont alors séparés en deux suivant une ligne horizontale. La partie basse restait en place, mais la partie haute était mise à l’horizontale, voire supprimée. Déjà, l’aérodynamique impose ses règles. Mais ces demi-pare-brises en hauteur protégent de moins en moins les pilotes qui de toute manière utilisaient leurs propres « pare-brises » individuels, sous forme de lunettes type aviateur.
Petit à petit, les demi-pare-brises sont remplacés par des sautes vents ne protégeant que le pilote. Bien sur les lunettes restent de rigueur, pour se protéger d’une partie du vent dû à la vitesse, de la pluie, des projections d’huile et de gomme, ainsi que de la fragilité de ces petites plaques de verre qui ne demandaient qu’à se briser.
En 1938, Alfa Romeo est longtemps leader avec une voiture à carrosserie fermée, le coupé 8C – 2900 B, qui avait remporté cette même année le marathon routier transalpin des Mille Miglia aux mains de Clemente Biondetti. Au Mans, il la partage avec le double vainqueur français des 24 Heures Raymond Sommer, qui signe le meilleur tour en course avant que la belle italienne ne soit contrainte à l’abandon. Son pare-brise est inséré dans un joint pour le fixer sur la carrosserie. Mais les voitures de l’époque ne sont pas très rigides et le pare-brise en simple verre toujours aussi fragile. Il est alors coupé en deux verticalement pour mieux résister aux contraintes.
En 1950 Louis Rosier, futur vainqueur sur Talbot T26GS, voit un corbeau exploser son saute-vent en pleine nuit. La recherche de l'aérodynamisme en est à ses balbutiements mais chacun a compris que moins on pénalise la voiture en résistance à la pénétration dans l'air, plus on améliore les performances. Les carrosseries découvertes, que l’on n’appelait pas encore barquettes, séduisent les constructeurs : moins de prise au vent, et juste ce petit saute-vent en face du pilote. Et mis à part la victoire de 1952 de Mercedes avec un coupé, seules des voitures découvertes l’emportent dans les années 1950.
Mais dès 1956, l’ACO veille à la sécurité des pilotes en imposant aux constructeurs un habitacle de 120 cm de largeur et d’un parebrise 100 cm de large et d’au moins 20 cm de haut.
Une révolution à l’italienne
Cette révolution vient de Saint Gobain Italie, qui dote dès 1961 des parties triplex, à l'emplacement du pilote et de l'essuie-glace, incrustées dans les larges parebrises aérodynamiques en plexiglas des Ferrari 150 TRI d'usine. Ce triplex, composé de trois couches de verre enserrant deux feuilles de plastique transparent, se voit généralisé dans les années à venir sur l’ensemble des pare-brises. Plus aucun risque pour le pilote : en cas de gravillon sur la première couche de verre, celui-ci ne faisait pas voler en éclat la deuxième ni la troisième couche.
En 1963, les hauteurs règlementaires des pare-brises augmentent encore. De quoi faire hésiter entre voiture ouverte ou fermée. Les Ferrari 250 et 275 P restent ouvertes, tandis que leurs concurrentes, les Ford GT40, sont des coupés. En 1967, dit-on, les pare-brises de ces GT40, se fissuraient. Aussi le staff fit venir par avion spécial de Dearborn (USA) à l'aéroport d'Arnage, cinq pare-brises de secours. Ils auraient même voyagé sur des sièges de première classe.
L’évolution des techniques du verre triplex a permis aux pare-brises de s’arrondir d’épouser petit à petit des formes plus aérodynamiques. Amorcé dès 1966 (Ferrari 330 P3, Chaparral et Porsche Carrera 6, la mode des parebrises bombés se poursuit jusqu’en 1971 (Porsche 908 et 917, Ferrari 512 M).
En 1972, avec la réduction de cylindrée à 3 litres, la mode des légères petites barquettes fait son retour avec un simple saute-vent, pas toujours transparent d’ailleurs comme pour les Matra 670 victorieuses en 1972, 73 et 74. Mais coté aérodynamique le compte n’y est pas tout à fait. Pour améliorer cela, la Renault-Alpine A442 B, gagnante en 1978 comporte une bulle en plexiglas, mais pas de pare-brise du tout, remplacé par une simple « meurtrière » entre la carrosserie et la bulle.
Les années 1980 et 1990 ont vu une alternance de voitures fermées et de barquettes. Les Groupe C sont par exemple sont fermées par règlement, tandis qu’à l’aube des années 2000, après un test comparatif sur 24 Heures en 1999, Audi décide de n’engager que des barquettes.
La lutte entre Audi et Peugeot voit le retour des voitures fermées, ce qui se confirme avec les prototypes LMP1. Toutes les voitures sont maintenant fermées, la protection des pilotes étant bien meilleure grâce à un arceau situé au-dessus de pare-brise. Celui-ci n’a plus de rôle à jouer en termes de rigidité, mais il est devenu un élément prépondérant dans la ligne aérodynamique de la voiture. Semblable aux cockpits des avions de chasse, il est généralement en lexan ou en polycarbonate. L’exemple des casques et de leurs « tear-off » sur les visières (pellicule fine de plastique que l’on retire quand elle est souillée) est adopté et désormais les pare-brises sont équipés eux aussi de ces tear-offs (parfois pas moins de sept pour les 24 Heures du Mans).
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) Evolutions en images du pare-brise au fil de cent ans d'histoire des 24 Heures : les cockpits fermés des Hypercars avec la Toyota de 2022 ; pare-brise baissé et saute-vent pour le pilote sur cette Aston Martin Ulster de 1933 ; l'Alfa Romeo titulaire du meilleur tour en course en 1938 ; seul le support du saute-vent de la Talbot-Lago victorieuse a survécu à la nuit des 24 Heures 1950, après une rencontre impromptue avec un corbeau ; la filiale italienne de Saint-Gobain a grandement contribué à l'amélioration de la résistance du pare-brise sur les Ferrari, notamment celle de Phil Hill/Olivier Gendebien, les vainqueurs de 1961 ; sur les Renault-Alpine engagées en 1978, seule celle de Didier Pironi/Jean-Pierre Jaussaud utilisait cette bulle aérodynamique ; en 1999, pour sa première participation, Audi avait mené une étude comparative entre un prototype fermé (R8C, ici à l'image) et ouvert (R8R).