Personne n’a oublié ces images qui ont fait le tour du monde. Pour certains, le souvenir du crash d’Allan McNish ne se limite pas à une séquence visionnée en boucle sur internet : ils ont vécu cet effroyable moment de l’intérieur et le racontent avec une émotion palpable.
« Si un tel accident m’était arrivé il y a une trentaine d’années, je ne serais plus là » (Allan McNish)
Allan McNish, pilote de l'Audi n°3 : « Lorsque je me suis lancé dans la descente vers les Esses de la Forêt, j’étais bien calé dans les roues de Timo Bernhard (Audi n°1). Subitement, il a fait une infime erreur de trajectoire. J’en ai profité pour me glisser à l’intérieur. C’est alors que j’ai découvert la Ferrari (pilotée par Anthony Beltoise). C’était déjà trop tard pour freiner mais j’ai pensé que ça pouvait passer. Il y a eu contact. Ensuite, Il ne restait plus qu’à attendre l’inévitable choc avec le mur... qui a été d’une violence inouïe. Le temps m’a semblé long, très long, jusqu’à ce que tout s’arrête. Quand ce fut enfin le cas, j’ai constaté que tout allait bien, que j’étais vivant. Alors je n’avais qu’un désir : quitter ce cockpit retourné. Des commissaires ont réussi à ouvrir la porte. Je les ai rassurés sur mon état. Si un tel accident m’était arrivé quand j’ai débuté en compétition, il y a une trentaine d’années, je suis intimement convaincu que je ne serais plus là. »
« J’ai ressenti un gros choc à droite sans comprendre ce qui se passait » (Anthony Beltoise)
Anthony Beltoise, pilote de la Ferrari n°58 : « Cet accident, je l’ai subi. A la sortie de la chicane Dunlop, j’ai vérifié dans mes rétroviseurs et j’ai vu qu’une Audi me suivait. Son comportement était clair : elle n’allait pas m’attaquer tout de suite, au contraire, elle me sécurisait. J’ai donc abordé le virage normalement mais j’ai senti un gros choc à droite sans comprendre ce qui se passait. Quand ma voiture s'est arrêtée dans le bac à graviers, je me suis demandé pourquoi les commissaires ne m’aidaient pas à repartir. C’est après que j’ai vu l’Audi désintégrée et sur le toit. J’ai halluciné, c’était une scène extraterrestre ! Là je me suis dit : "c’était un crash dangereux". On s'en est bien sorti. Ce n’était peut-être qu’un simple incident de course, mais peut-être qu’Allan McNish était trop rapide pour tenter un dépassement ? »
« Une ambiance terrifiante émanait de l'épais brouillard de poussière. » (Didier Ramez)
Didier Ramez, spectateur et photographe amateur : « J’ai découvert Le Mans à la fin des années ‘70 et, depuis 1997, je prends toujours une semaine de vacances pour les 24 Heures. Cette année, exceptionnellement, j’avais délaissé la montée vers le pneu Dunlop au profit de la descente du Tertre Rouge pour suivre le départ. A l’approche du cap de la première heure de course, j’ai vu une Audi partir en glissade dans le viseur de mon appareil photo. Instinctivement, j’ai mitraillé en rafale sans savoir si les réglages étaient bons. Sur le coup, je ne réalisais pas l’ampleur de l’accident mais, juste après, je me suis dit : "Je viens de voir quelque chose qui n’était pas au programme". Il y avait eu des grands cris dans le public au moment de l’impact et, d’un coup, c’était devenu très calme... Une ambiance terrifiante émanait de l'épais brouillard de poussière. A travers mon objectif, j’avais cru voir l'Audi partir dans les gradins. Bizarrement, alors que je n’avais qu’à lever les yeux pour constater qu’il n’y avait pas de blessé grave, j’ai vérifié cela en analysant mes clichés... Drôle de réflexe ! »
« La tension est palpable mais il n’y a pas d’affolement » (Daniel Poissenot)
Daniel Poissenot, Directeur de Course : « Nous sommes préparés à ce genre de situation. Chacune des quinze personnes qui composent la Direction de Course sait ce qu’elle doit faire. La tension est palpable mais il n’y a pas d’affolement. Chacun reste calme. Pour ma part : dès l’impact, je prends la décision de faire sortir la voiture de sécurité puis d’envoyer, dans l’ordre, la voiture rapide d’intervention, le véhicule d’extraction, le véhicule de désincarcération, l’ambulance et le "trente tonnes" des pompiers. Ils arrivent sur les lieux moins d’une minute après l’accident. Entre temps, les commissaires de piste nous ont déjà livré les premières informations. Nous savons qu’il n’y a pas de blessé grave parmi les photographes, spectateurs et commissaires. Reste le cas du pilote, pour lequel nous sommes rassurés rapidement par le médecin. Il est déjà temps d’envoyer les équipes de dépannage et de réparation pour que la course reprenne ses droits au plus vite. Enfin, nous décidons de placer l’accident sous investigation, suite a quoi les commissaires sportifs vont analyser les données. Ce n’est que le lendemain, quand la course sera terminée, que nous pourrons repenser à ce terrible moment avec la satisfaction du travail bien fait. »
« J’ai vu les restes d’un proto, j’ai supposé qu’il s’agissait d’une Audi » (Franck Montagny)
Franck Montagny, pilote de la Peugeot n°8 : « J’étais quatrième à 17 secondes d’Allan McNish. Lorsque je suis arrivé sur les lieux de l’accident, l’équipe venait de m’informer par radio que la voiture de sécurité entrait en piste. Je devais donc suivre une procédure très précise pour modifier différents paramètres, notamment relatifs à la consommation. Je devais aussi me concentrer pour éviter les débris de carbone dispersés sur la piste. Furtivement, j’ai vu les restes d’un prototype et j’ai supposé qu’il s’agissait d’une Audi. Rapidement, j’ai été informé que le pilote allait bien. C’est peut-être choquant, mais une fois cette bonne nouvelle annoncée, je ne pouvais m’empêcher de penser que je venais de gagner une place… Et que c’était une autre bonne nouvelle ! La compétition reste la compétition. »
« Je suis resté bouche bée devant les images » (Romain Dumas)
Romain Dumas, pilote de l’Audi n°1 : « J’essayais de me détendre de mon bungalow au moment où j’ai entendu des cris en provenance de notre stand. J’ai été voir ce qui se passait et, comme tout le monde, je suis resté bouche bée devant les images. En revanche je n’ai jamais pensé que cet accident aurait une issue dramatique pour Allan ou pour les spectateurs. Il est considéré comme l’accident le plus spectaculaire de l’année uniquement parce que nous n’avons pas les images de celui de Mike Rockefeller… Croyez-moi, celui-là devait être plus terrifiant encore. Heureusement, nos voitures sont solides ! »
« C’est un miracle » (Philippe Streiff)
Philippe Streiff, ancien pilote : « Malheureusement j’ai vécu cela en F1. Allan McNish, les photographes et les commissaires s’en sont sortis sans blessure… C’est un miracle. Il est évident qu’on ne double pas à cet endroit là normalement, donc Anthony Beltoise n’a aucun tord. McNish était un peu excessif et optimiste.
Julien Hergault