CENTENAIRE DES 24 HEURES - UNE HISTOIRE D'INNOVATIONS ⎮ La Porsche 917 aura marqué l’histoire des voitures de courses Sport Prototypes entre 1969 et 1971. Répondant à un règlement bien particulier, cette voiture révolutionne l’endurance tout en étant l’objet d’une réelle lutte de pouvoir entre Porsche et la principale écurie à laquelle elle l’avait pourtant confiée…
Après une lutte de pouvoir interne, l’ingénieur Ferdinand Piëch, petit-fils de Ferdinand Porsche, prend l’ascendant sur les programmes Course. Ainsi, il envoie aux oubliettes la Porsche 904, conçue par son cousin et néanmoins rival Butzi Porsche (père de la 911), pour lancer un programme devant mener à la victoire aux 24 Heures du Mans. Cette montée en puissance débute avec les 906, 907, puis 908. Toutes ces voitures avaient la même conception suivant les crédos de Piëch : châssis tubulaire, aérodynamique soignée favorisant la vitesse de pointe, moteur à plat 6 puis 8 cylindres refroidi par air de 2 litres puis 3 litres.
Fin 1967, la CSI (Commission Sportive Internationale, ancêtre de la FIA), annonce la fin des prototypes de plus de 3 litres de cylindrée. La 908 (8 cylindres 3 litres) est dès lors taillée pour la victoire, en version longue pour les pistes rapides et en version spider (908/2) pour les pistes plus lentes. Cette voiture ne sera pourtant pas la première Porsche victorieuse en Sarthe, en 1968 par manque de fiabilité et en 1969 pour 120 mètres dans un final resté dans les mémoires face à la Ford GT40 de Jacky Ickx.
Mais pour ne pas désertifier les grilles de départ, la CSI avait créé fin 1967 une catégorie Sport pour voitures jusqu’à 5000 cm3 de cylindrée, avec un minimum de production de 50 exemplaires. Une façon comme une autre d’autoriser de nombreuses Ford GT40 et Lola T70 à continuer de courir. Ford gagne ainsi en 1968 et 1969 grâce à l’écurie Gulf de John Wyer.
1969 : le pari de Ferdinand Piëch
Ferdinand Piëch décide alors de s’engouffrer dans cette voie. La CSI ayant décidé de réduire le nombre d’exemplaires minimum à 25, il décida de construire 25 monstres de puissance : la 917, présentée au salon de Genève 1969. Puis la totalité des 25 voitures sera alignée dans la cour de l’usine pour l’inspection de la CSI le 31 mars 1969.
Le châssis tubulaire était une version élargie et renforcée de celui de la 908, dont, et c’est la première innovation, les tubes soudés entre eux seront mis sous pression. Un manomètre permettait alors de savoir, à chaque fois que l’on ouvrait le capot, si la pression était toujours présente. Une défaillance d’une soudure ou une crique aurait provoqué la chute de cette pression dans le châssis et indiqué qu’il y avait une réparation urgente à faire.
L’aérodynamique dérivait elle aussi de celle de la 908, soit avec la longue queue chère à Ferdinand Piëch, soit avec une version à peine tronquée pour être plus maniable. Mais dans les deux cas, elle disposait d’un stabilisateur arrière relié à la suspension, renforçant ainsi l’appui sur le train arrière lorsque le transfert de masse se faisait sur l’avant et qu’il délestait.
Enfin, le moteur de 580 ch au début faisait appel aux techniques puisées dans l’expérience de Porsche, qui crée pour la circonstance son premier 12 cylindres. En partant de deux blocs 6 cylindres à plat refroidi par air, Porsche les a « assemblés » avec un seul vilebrequin, mais, nouvelle innovation, avec une distribution entraînant les arbres à cames située au centre du moteur, entre les deux bancs de 6 cylindres, ainsi qu’un arbre supplémentaire entraînant la turbine de refroidissement, l’allumeur et l’alternateur. Malgré tout, l’entraînement de la boite de vitesse se faisait par un volant moteur situé à l’arrière.
Ainsi gréée, la 917 est engagée dès les essais préliminaires des 24 Heures du Mans. Diabolique en accélération et très délicate à piloter, elle réalisera le meilleur temps. Mais les pilotes ne se bousculent pas pour en prendre le volant. De plus la CSI, durant les essais officiels en juin, décide d’interdire les ailerons mobiles. Porsche démontre avec ses pilotes que la 917 était inconduisible avec les ailerons fixes. Elle est donc autorisée à courir avec ce dispositif, contrairement aux autres prototypes (908, Matra) qui durent s’exécuter.
Meilleur temps des essais, entre 3’22’’ et 3’27’’, les trois 917 officielles prenaient 10 secondes au tour sur les prototypes 3 l et les Ford GT40. Malheureusement la fiabilité n’est pas encore parfaite. Une voiture non partante, une deuxième ayant des fuites d’huile à la quinzième heure et la troisième perdait l’embrayage au bout de 22 heures. Sans parler de l’accident mortel dès le premier tour de course de la voiture privée que s’était offert le canadien John Woolfe.
1970-1971 : deux victoires… et des rivalités internes
Pour 1970, Porsche DOIT gagner. Aussi, plutôt que se battre contre l’écurie de John Wyer qui les avait défaits par deux fois au Mans, décision est prise de lui confier des voitures (Gulf Porsche). Parallèlement, pour répartir les risques, une écurie au nom de… Louise Piëch, la mère de Ferdinand, est créée en Autriche (Porsche Konstruktionen Salzburg, qui deviendra Martini Porsche en 1971).
Les premiers essais avec l’équipe de John Wyer se déroulent à Zeltweg au mois de septembre 1969 et les pilotes continuent à se plaindre de la tenue de route de la 917. John Horsman, le directeur technique de Wyer remarque que les moucherons qui s’écrasent sur l’avant de la voiture ne salissent pas l’aileron arrière, détectant ainsi un loup aérodynamique. A l’aide de quelques tôles d’alu, il redessine le capot arrière. Ce sera la troisième innovation de la 917 K (pour Kurtz, courte en allemand). Un fois totalement défini, ce capot dégage largement les roues arrière et offre un profil en coin qui se généralisera sur les voitures Sport et Prototype (Ferrari 512 puis 312, Matra, Alfa Romeo, Porsche 908/3…) durant les années 1970 et 1971.
Mais cette modification majeure aiguillonne Ferdinand Piëch, qui croit plus que jamais à sa longue queue. Il fait dessiner un capot arrière long spécifique (quatrième innovation) pour les 24 Heures 1970. La vitesse de pointe est phénoménale dans la ligne droite des Hunaudières, pourtant sur un tour, les temps sont similaires entre la longue queue et la queue courte. John Wyer n’en veut donc pas et seule l’écurie autrichienne en bénéficie. Des deux longues queues engagées aux 24 Heures 1970, seule celle aux couleurs pop’art de Gérard Larrousse/Willi Khausen termine la course, mais deuxième derrière la courte de Hans Herrmann/Richard Atwood. A noter que les Gulf de John Wyer bénéficiaient d’une nouvelle cylindrée de 4 900 cm3 permettant d’obtenir plus de 600 ch. Mais pour une fois, Wyer est mal inspiré de choisir ces moteurs puisqu’aucune des trois voitures ne se trouve à l’arrivée et que les deux 917 de l’écurie Salzburg ayant réalisé le doublé, disposent, elles, du 4,5 litres.
Pour 1971, Porsche travaille avec le cabinet français SERA pour améliorer les 917 longues. Retravaillées au niveau du capot avant, descendant très bas, et du capot arrière, avec des roues semi-carénées, elle est la reine des Hunaudières. Flashée à plus de 394 km/h aux essais et à 388 km/h en course, il faudra attendre 17 ans pour voir la WM battre ce record avec plus de 400 km/h. Les pilotes sont impressionnés à la fois par la vitesse et la stabilité de la voiture. Aussi, John Wyer se décide-t-il à en engager deux.
De son côté, la 917 K a elle aussi évolué, avec deux grandes dérives longitudinales sur le capot arrière. Et c’est cette version, menée par Helmut Marko (aujourd’hui conseiller de Red Bull en F1) et Gijs van Lennep, qui s’impose et dément une fois de plus qu’une longue queue est indispensable au Mans.
Dès 1972, la CSI limite une nouvelle fois les voitures de Sport, et seuls les moteurs 3 litres auront droit de cité en endurance. Mais Porsche anticipe ce changement dès 1971, en engageant au Mans une 917/20, version élargie de la 917 , préfigurant une version 917/30 CanAm à moteur double turbo qui fera la loi dans cette série outre-atlantique dès 1972. Ce modèle du Mans était doublement original, puisque, se moquant du volume de la voiture, l’équipe Salzburg l’avait en peinte en rose et dessiné des découpes des différents morceaux du porc, d’où son surnom de cochon rose.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) les différentes évolutions aérodynamiques de la 917 : la carrosserie longue de 1970 et ses couleurs psychédéliques (n°3), dont un autre examplaire avait signé la pole position cette année-là ; la version de 1969 avec ses ailettes mobiles à l'extrémité des dérives arrière (n°12) ; la version engagée par l'écurie Gulf de John Wyer présente l'arrière défini par son ingénieur John Horsman, ainsi qu'un petit aileron placé à l'extrémité centrale du capot arrière ; reconnaissable à ses roues arrière carénée (avec une fente en guise de prise d'air), la version longue de 1971 (n°17) établit à la fois un record absolu du circuit et un record de vitesse dans la ligne droite des Hunaudières ; la fameuse version 917/20 dite Cochon rose de 1971 (n°23) préfigure les versions 917/10 et 917/30 qui disputeront le Challenge CanAm en Amérique du Nord en 1972 et 1973.