CENTENAIRE DES 24 HEURES – HISTOIRES DE MARQUES ⎮ Si Aston Martin a fait sa première apparition aux 24 Heures du Mans pendant la période de l’entre-deux guerres mondiales, son heure de gloire sarthoise sonne véritablement pendant les années 1950, avec en apothéose la victoire de Roy Salvadori et Carroll Shelby en 1959. Retour sur une décennie où Aston Martin a véritablement gagné sa place dans la légende des 24 Heures.
Créée à l’origine en 1913 par Lionel Martin et Robert Bamford, Aston Martin connaît une deuxième vie après le second conflit mondial, lors de son rachat en 1947 par l’entrepreneur britannique David Brown, spécialiste du matériel agricole. Aujourd’hui passées à la postérité sur les modèles de la marque, ses initiales sont également associées aux voitures engagées aux 24 Heures du Mans dès 1950.
DB2 et DB3S, les premiers podiums
Première voiture frappée des lettres DB, le coupé DB2 est conçu en collaboration avec le carrossier italien Touring, autour d’un nouveau moteur 6 cylindres en ligne de 2.6 litres, dont la puissance passe de 105 à un peu plus de 120 ch pour la version vue aux 24 Heures du Mans. Trois éditions durant, elle s’invite régulièrement dans le top 10 du classement général : 5e et 6e en 1950, 5e en 1951, 7e en 1952, et un premier podium en 1951, avec la troisième place de Lance Macklin et Eric Thompson.
Présentée en 1953, la DB3S conserve l’architecture moteur en ligne, pour une puissance portée à 225 ch (2.9 litres). A son volant, le Britannique Peter Collins termine deuxième en 1955 et 56, respectivement associé au Belge Paul Frère puis à Stirling Moss. En 1958, les frères Peter et Graham Whitehead signent un résultat identique.
DBR1, la route de la victoire
L’Aston Martin qui va conduire la marque à la victoire voit le jour en 1956. Le 6 cylindres en ligne reste la marque de fabrique du constructeur britannique pour ce modèle baptisé DBR1. Sa première participation aux 24 Heures cette année-là s’achève sur un abandon, mais deux décisions de l’ACO vont avoir une influence cruciale sur son développement : une limitation de cylindrée à trois litres en 1958, puis la création d’une journée d’essais préliminaires en 1959.
Manière d’ancêtre de l’actuelle Journée Test, elle permet à Aston Martin d’effectuer de nombreuses modifications, principalement sur la boîte de vitesses et l’aérodynamique, qui permettent de réduire l’écart en performance pure avec Ferrari.
Les 20 et 21 juin 1959, la 27e édition des 24 Heures du Mans est le théâtre d’un long duel entre le cheval cabré et Aston Martin. En début de course, la DBR1 de Stirling Moss/Jack Fairman s’installe en tête avant de céder le commandement à la Ferrari de Dan Gurney/Jean Behra, puis de Phil Hill/Olivier Gendebien.
Après les abandons de Moss/Fairman (6e heure) de Behra/Gurney (10e heure), Gendebien et Hill s’installent en tête peu avant la mi-course. Les vainqueurs de 1958 semblent en route vers une deuxième victoire consécutive, mais le Belge et l’Américain doivent renoncer à moins de quatre heures de l’arrivée sur un problème moteur.
Restées en embuscade dans le top 10 selon un tableau de marche très précis, les DBR1 rescapées de Roy Salvadori/Carroll Shelby et Paul Frère/Maurice Trintignant deviennent les nouveaux leaders et signent dans cet ordre un doublé qui reste encore aujourd’hui la seule victoire d’Aston Martin au classement général. Les vainqueurs n’auront connu qu’une seule alerte : une vibration provoquée par la perte d’un morceau de la bande de roulement du pneu arrière gauche, alors que Salvadori est au volant.
John Wyer, l’homme-orchestre et ses pilotes
Cette ascension d’une décennie vers la victoire doit aussi beaucoup au flair de David Brown. En 1950, sur le circuit de Spa-Francorchamps, il repère le sens de l’organisation d’un garagiste britannique, à qui il propose le poste de directeur sportif : un certain John Wyer, entré dans la légende des 24 Heures à la fin des années 1960 et au début des années 1970 sous les couleurs bleu ciel et orange de la compagnie pétrolière Gulf. Mais avant cela, David Brown fera de lui le Directeur Général d’Aston Martin. Wyer surveille néanmoins de près aux 24 Heures du Mans les activités sportives de l’écurie de course, placée en 1959 sous la responsabilité de Reg Parnell, ancien pilote Aston Martin au Mans (six participations de 1950 à 1956), avec comme meilleur résultat une sixième place en 1950.
Outre le duo Shelby/Salvadori, les troupes de David Brown ont compté dans leurs rangs anciens et futurs vainqueurs des 24 Heures pendant cette période. Paul Frère s’imposera en 1960 sur Ferrari en compagnie d’Olivier Gendebien. Victorieux dans la Sarthe en 1954 avec l’Argentin Jose Froilan Gonzalez, également sur Ferrari, Maurice Trintignant est aussi (à Monaco en 1955 et 58) le premier Français vainqueur dans le Championnat du monde de Formule 1 inauguré en 1950. Les Britanniques Peter Collins et Stirling Moss n’ont jamais gagné au Mans, mais cumulent dix-neuf victoires en Grand Prix, tandis que Jack Brabham remporte son premier titre mondial en Formule 1 en 1959, l’année de la victoire sarthoise d’Aston Martin.
Par une jolie concordance de l’histoire des 24 Heures du Mans et du cinéma, le triomphe d’Aston Martin est au cœur de la superbe scène nocturne d’ouverture du film Le Mans 66, sorti en 2019… année du soixantième anniversaire de la victoire sarthoise de la marque. Dans le film de James Mangold, consacré à la genèse du duel Ford-Ferrari dans la deuxième moitié des années 1960, Carroll Shelby est incarné par Matt Damon.
Depuis le mitan des années 2000, Aston Martin a renoué avec succès le fil de son histoire aux 24 Heures. Un chapitre majeur en prototypes et GT à découvrir très prochainement.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS 1950-1959 - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : les trois Aston Martin DB2 lors des vérifications techniques de l'édition 1950 ; la DB3S en piste en 1954, avec au volant de la n°8 Roy Salvadori et Reg Parnell, respectivement futurs vainqueur et directeur sportif en 1959 ; la DBR1 de Stirling Moss et Jack Brabham en 1958 ; déjà deuxième en 1955 chez Aston Martin avec Peter Collins, Paul Frère signe un résultat identique avec le constructeur britannique en 1959, associé à Maurice Trintignant ; Carroll Shelby et la salopette (héritage de ses années d'éleveur de volaille ?) qui lui a servi de combinaison de course en 1959.