CENTENAIRE DES 24 HEURES – DES MACHINES ET DES HOMMES ⎮ Originaire de Chicago, Hurley Haywood cumule huit victoires sur les deux grandes courses d'endurance de 24 Heures des deux côtés de l'Atlantique (trois au Mans et cinq à Daytona). Mais ce n'est pas la seule singularité de son parcours, avec trois victoires sarthoises à haute tension.
Dix pilotes américains de naissance ont inscrit leur nom au palmarès des 24 Heures du Mans, avec un total de seize victoires : Price Cobb, AJ Foyt, Masten Gregory, Dan Gurney, Hurley Haywood, Phil Hill, Al Holbert, Davy Jones, Bill Whittington et son frère Bill – auxquels il convient d’ajouter une 17e pour Luigi Chinetti, naturalisé américain depuis deux ans lorsqu’il remporte sa troisième victoire en 1949.
Parmi ces vainqueurs d’outre-Atlantique, Hurley Haywood occupe une place à part. Non seulement il partage avec AJ Foyt la performance de s’être imposé dès sa première participation, mais il est également le seul citoyen de son pays victorieux sur trois décennies consécutives (1977, 1983 et 1994), à l’instar de Tom Kristensen (neuf victoires entre 1997 à 2013) ou Jacky Ickx (six entre 1969 et 1983). C’est d’ailleurs en compagnie de ce dernier qu’il s'impose pour la première fois, au terme d’une édition 1977 que, comme a pu le dire Jacky Ickx, ils n’auraient jamais dû gagner.
1977-1983 : jusqu’au bout de la mécanique
Après l’abandon en début de course de la Porsche 936 n°3 qu’il partage avec Henri Pescarolo, le Belge passe sur la n°4 de Hurley Haywood et de son coéquipier allemand Jürgen Barth, elle-même reléguée au-delà de la quarantième place à la suite de soucis mécaniques. Après une folle remontée nocturne où il bat à trois reprises le record du tour, Ickx a quasi épuisé son temps de pilotage et cède le volant à ses deux coéquipiers. « J’ai eu l’honneur d’être dans la voiture pour le départ et c’était très émouvant, se souvient Hurley Haywood. Dans le premier virage, la pédale d’accélérateur est allée directement au plancher. Ca m’a tellement surpris que j’ai coupé le contact et arrêté la voiture en bord de piste. Je me suis alors rendu compte que si je redémarrais, je provoquerais un surrégime. Alors j’ai dû soulever le capot moteur pour résoudre le problème et j’ai pu rentrer au stand. Puis Jacky a rejoint notre voiture. Il a pris la piste et a été extraordinaire dans la brume et sous la pluie, il faisait des relais de trois ou quatre heures. Puis j’ai senti un problème, j’ai regardé dans le rétroviseur et j’ai vu de la fumée s’échapper du moteur par l’arrière gauche. Le stand m’a dit de ne pas m’arrêter sur le circuit et de rentrer. Les mécaniciens ont condamné un cylindre et mis Jürgen Barth au volant parce qu’il a une sensibilité mécanique particulière. Et lorsque la voiture a franchi la ligne, le moteur a littéralement explosé. »
En 1983, la perte d’une portière et la mécanique le dimanche mettent une nouvelle fois à rude épreuve les nerfs de Hurley Haywood, associé cette fois à son compatriote Al Holbert et à l’Australien Vern Schuppan : « Les mécaniciens ont installé une nouvelle portière mais la mécanique de fermeture ne s’est pas ajustée. Un mécanicien a retiré sa ceinture et s’en est servi pour la refermer. Mais ce mauvais angle de fermeture a dévié l’air de l’échangeur, ce qui a provoqué la perte d’un piston. Al Holbert était au volant dans la ligne droite des Hunaudières et a senti le moteur se serrer. Fort heureusement, il a pu ralentir, est descendu en deuxième vitesse et a roulé à 30 km/h. Nous nous sommes trainés jusqu’au drapeau à damier et la voiture a rendu l’âme sitôt la ligne d’arrivée franchie. A ce moment, je crois que Jacky (Ickx, ndlr) et Derek (Bell, ndlr) étaient revenus à une vingtaine ou une trentaine de secondes. »
1994 : une question de gabarit
En treize participations, trois victoires et deux autres podiums (3e en 1978 et 82), Hurley Haywood a pris onze fois le départ des 24 Heures du Mans au volant d’une Porsche. En 1985 et 86, il contribue également au retour dans la Sarthe d’une légende britannique : Jaguar, cinq fois vainqueur pendant les années 1950. Le pilote américain côtoie ainsi les deux équipes ayant ramené la marque dans la Sarthe : tout d’abord la structure américaine Group 44, animatrice à l’époque du championnat d’endurance américain IMSA, puis l’écurie britannique TWR, qui offrira deux victoires supplémentaires à Jaguar en 1988 et 90.
Mais à ce moment, Hurley Haywood a déjà retrouvé sa marque de cœur Porsche, notamment en 1994 pour sa troisième victoire, au volant d'une Dauer-Porsche 962 LM. Après les soucis mécaniques de 1977 et 83, c’est à son gabarit qu’il doit sa présence dans la voiture victorieuse : « C’est une drôle d’histoire. Nous avions fait des essais sur le circuit Paul Ricard, avec une simulation de 24 heures. J’allais piloter avec Hans Joachim Stuck et Thierry Boutsen, alors que Danny Sullivan était associé à Yannick Dalmas et Mauro Baldi. Tous deux sont retournés à l’usine pour faire un siège spécial. Danny Sullivan ne pouvait pas s’y installer, alors le patron de l’écurie a décidé de me transférer sur leur voiture pour avoir trois pilotes de même gabarit. Et pour la première fois depuis que je roulais au Mans, j’avais un siège, des ceintures et harnais d’épaule parfaitement adaptés, sans réajustement. Ce fut d’une aide énorme pour la course. J’ai beaucoup apprécié la Dauer-Porsche, elle était vraiment plaisante à conduire. »
Qualifiés septièmes sur la grille, l’Américain et ses deux coéquipiers ne quitteront jamais le top 6 du classement général, malgré une panne d’essence en début de course puis un changement d’arbre de transmission le samedi soir. Ils prennent la tête à deux heures de l’arrivée, à la faveur d’un problème de boîte de vitesses sur la Toyota de tête.
Outre Jacky Ickx, Jürgen Barth, Vern Schuppan, Al Holbert, Mauro Baldi et Yannick Dalmas pour ses trois victoires, Hurley Haywood a eu pour coéquipiers quatre autres vainqueurs des 24 Heures : les frères Don et Bill Whittington, Jochen Mass, Stanley Dickens – et même un double champion du monde des rallyes en la personne de Walter Röhrl.
Hurley Haywood occupe également une place de choix dans l’histoire croisée des 24 Heures du Mans et de Daytona en tant que codétenteur, avec son compatriote Scott Pruett, du record de victoires sur le circuit floridien, avec cinq succès. Un palmarès d’exception dans l’histoire de l’endurance, qui lui a valu les honneurs de Grand Marshal lors de l’édition 2019 des 24 Heures du Mans, un quart de siècle après sa dernière victoire.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS 197762019 - DE GAUCHE A DROITE (D.R. / ARCHIVES ACO) : Hurley Haywood (troisième en partant de la gauche) lors des cérémonies d'avant-course des 24 Heures du Mans 2019, avec également à l'image (de gauche à droite) Pierre Fillon (Président de l'ACO), SAS la Princesse Charlene de Monaco (qui avait donné le départ), Jean Todt (Président de la FIA à cette époque), ainsi que Jackie Oliver et Jacky Ickx, vainqueurs de l'édition 1969 ; Hurley Haywood au volant de la Porsche 936 victorieuse en 1977 ; en 1983, on distingue la fumée sortant de l'échappement arrière gauche, qui a donné quelques sueurs froides à Hurley Haywood et ses deux coéquipiers Al Holbert et Vern Schuppan ; bénéficiant d'une homologation routière, la Dauer-Porsche 962 LM de Hurley Haywood, Yannick Dalmas et Mauro Baldi en 1994 était engagée en catégorie GT.