CENTENAIRE DES 24 HEURES – HISTOIRES DE MARQUES ⎮ Ford occupe une place à part dans l’histoire des 24 Heures du Mans en tant que seul constructeur américain vainqueur dans la Sarthe, remportant de 1966 à 1969 quatre victoires consécutives avec différentes déclinaisons d’une même voiture. Son matricule GT40 est entré dans la mémoire collective et connaîtra plusieurs avatars en piste, jusqu’à une victoire de catégorie dans les années 2010.
La naissance de la Ford GT40 trouve sa source dans une autre voiture. Présentée à Londres en janvier 1963 et propulsée par un moteur Ford, la Lola Mk6 GT est conçue par Eric Broadley, ingénieur des travaux publics de formation et pilote amateur devenu constructeur. Cette même année, elle est pilotée aux 24 Heures du Mans par David Hobbs et Richard Attwood, futur vainqueur en 1970. Mais le duo britannique est contraint à l’abandon sur sortie de route, après 151 tours couverts.
Une naissance anglo-américaine
Pendant ce même printemps 1963, l’échec du rachat de Ferrari par Ford contraint le constructeur américain à constituer de toutes pièces un département compétition, et notamment à rechercher un ingénieur capable de concevoir une voiture susceptible à terme de battre Ferrari. Séduit par la Mk6 GT, Ford choisit Eric Broadley, qui sera associé à l’ingénieur maison Roy Lunn.
Pour la circonstance naît également Ford Advanced Vehicles, qui prend ses quartiers dans une usine flambant neuve construite dans la banlieue londonienne, près de l’aéroport d’Heathrow. Et les différents essais effectués sur la Lola Mk 6 GT jettent les bases de la Ford GT40, qui voit le jour pendant l’hiver 1963-1964.
Tout d’abord présentée sous le nom de Ford GT, elle est rapidement baptisée GT40 dans la mémoire collective. Attribué par les techniciens qui l’ont conçue, ce patronyme fait référence à sa hauteur : 40,5 pouces, soit 1m 02. Quelques réminiscences font écho à la Lola, comme les portières échancrées sur le toit, destinées à faciliter l’installation du pilote. Le capot basculant vers l’arrière abrite un moteur V8 dans la grande tradition américaine.
Quatre victoires et autres records
Si aucune Ford GT40 ne termine les 24 Heures 1964 et 65, elle affole les chronomètres. Lors de ces deux éditions, Phil Hill, déjà triple vainqueur sur Ferrari, établit deux nouveaux records du tour, tout d’abord en 3’49’’2 en 1964 (211 km/h de moyenne) puis en 3’37’’5 (222 km/h de moyenne) en 1965, gagnant près de douze secondes en un an, avec un moteur passant de 4 à 7 litres de cylindrée.
Les 24 Heures 1966 voient l’apparition de la GT40 Mk II, qui signe un triplé, avec dans l’ordre les vainqueurs Chris Amon/Bruce McLaren, Denny Hulme/Ken Miles et Ronnie Bucknum/Dick Hutcherson. Pour 1967, la silhouette de la GT40 se fait encore plus aérodynamique pour la Mk IV. Et tandis que les vainqueurs Dan Gurney/AJ Foyt (n°1) franchissent pour la première fois le cap des 5 000 kilomètres parcourus en course (218 km/h de moyenne), Mario Andretti (n°3) et Denny Hulme (n°4) établissent un nouveau record du tour identique en 3’23’’6 (238 km/h de moyenne).
Face à cette escalade inédite des performances, la Commission Sportive Internationale (ancêtre de l’actuelle FIA) limite à 3 litres la cylindrée des prototypes, tout en créant une catégorie Sport 5 litres de cylindrée. Patron de l’écurie JWAE Gulf, John Wyer décide d’engager la GT40 Mk I. Celle-ci retrouve une nouvelle jeunesse en remportant les éditions 1968 avec Pedro Rodriguez/Lucien Bianchi et 69 avec Jacky Ickx/Jackie Oliver, tirant sa révérence sur ce double coup de maître. Au total, 44 Ford GT40, Mk II et Mk IV ont pris le départ des 24 Heures du Mans entre 1964 et 1969, mais l’histoire n’est pas terminée.
Les années 2010, une double renaissance
Afin de célébrer son centenaire, Ford présente au salon de Detroit un concept car inspiré de la GT40. Celui-ci est par la suite commercialisée, mais sous le nom de Ford GT, à la suite d’un différend juridique sur la propriété intellectuelle de la dénomination GT40. Ce qui a pour conséquence, ironie du sort, de redonner à la voiture son patronyme originel de 1964.
En 2010, sous l’impulsion de l’équipe suisse Matech Competition, la Ford GT retrouve les 24 Heures du Mans. Mais les trois exemplaires engagés – deux pour Matech Competition (avec un équipage féminin constitué de Cyndie Allemann, Rahel Frey et Natacha Gachnang), un pour l’écurie belge Marc VDS – sont contraints à l’abandon. L’année suivante, l’unique Ford GT au départ termine troisième de la catégorie LMGTE Am et voit pour la première fois la présence d’un couple marié, Andrea et David Robertson, sur un podium des 24 Heures.
En 2015, Ford annonce son retour officiel avec une nouvelle mouture de la GT, dont les lignes futuristes font également écho à la GT40 originelle, ce qui lui donne des airs de quasi Hypercar avant l’heure.
L’année suivante, la marque à l’ovale bleu salue dignement le demi-siècle de son premier succès aux 24 Heures du Mans en terminant victorieuse (Sébastien Bourdais/Joey Hand/Dirk Müller) et troisième (Ryan Briscoe/Scott Dixon/Richard Westbrook) de la catégorie LMGTE Pro. Deux autres podiums suivent (2e 2017, 3e 2018) et en 2019, la Ford GT conclut sa carrière mancelle en reprenant les décorations issues des Mk IV de 1966 et 67 et la livrée Gulf de 1968-69.
Née comme la GT40 en 1964, la Ford Mustang poursuivra-t-elle cette lignée dans la future catégorie LMGT3 à l’avenir ? En attendant, pour cette édition du Centenaire et pour les années Hypercar à venir, c’est à General Motors et à sa marque de luxe Cadillac qu’incombe de la mission de peut-être devenir le deuxième constructeur américain vainqueur dans la Sarthe.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS 1964-2019 - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : En 2019, la Ford GT de Jonathan Bomarito/Andy Priaulx/Harry Tincknell (n°67) reprenait les couleurs de la GT40 Mk IV victorieuse en 1967 ; la première version de la GT40 aux 24 Heures du Mans 1964 (n°10) ; le départ des 24 Heures 1966, avec au premier plan les Ford GT40 Mk II des futurs vainqueurs Chris Amon/Bruce McLaren (n°2) et de leurs dauphins Ken Miles/Denny Hulme (n°1) ; la Ford GT40 n°1 victorieuse en 1967 présentait la particularité d'un bossage sur la portière côté pilote, afin de faciliter l'installation de la très grande taille de Dan Gurney, qui composait un équipage 100 % américain avec AJ Foyt ; en 1968 (ici à l'image, n°6) et 69, l'équipe Gulf impose le même châssis (n°1075) de la GT40 Mk I ; en 2016, la Ford GT (ici la n°68 victorieuse en catégorie LMGTE Pro) son originalité d'une face avant rappelant sa glorieuse aînée et de la disposition singulière de ses radiateurs, de part et d'autre en avant des roues arrière.