CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS ⎮ Riche de 22 titres mondiaux en Formule 1 de 1968 à 1982, le moteur V8 Ford Cosworth DFV a également brillé aux 24 Heures du Mans, avec huit victoires (deux au classement général et six autres en catégorie), dont sept pour les voitures du pilote constructeur manceau Jean Rondeau. Retour sur l’histoire mancelle d’un moteur à l’exceptionnelle longévité, né d’un rendez-vous houleux entre Ford et Ferrari.
En 1963, le refus en toute dernière minute par Enzo Ferrari du rachat de sa marque par Ford est vécu comme une humiliation. Le maître de Maranello souhaitait-il vraiment vendre, ou a-t-il manipulé le constructeur américain afin d’attirer d’autres investisseurs susceptibles d’assurer sa pérennité ? Toujours est-il que pour laver l’affront, Henry Ford II lance une triple offensive. Aux 24 Heures du Mans, où l’objectif est bien sûr de battre Ferrari sur son terrain de prédilection. Sur les routes, où la Mustang rajeunit l’image de Ford. Et en Formule 1, qui adopte en 1966 une nouvelle réglementation à 3 litres pour les moteurs atmosphériques.
Ford finance l’étude et la réalisation d’un tel moteur, confiées à Cosworth. Fondée en 1958 par Mike Costin et Keith Duckworth, cette société d’ingénierie britannique s’est notamment fait connaître par des transformations basées sur des mécaniques Ford. Et en 1967, c’est la naissance du moteur Ford Cosworth DFV. D’une cylindrée de 2 993 cm3, ce V8 à double arbre à cames et quatre soupapes par cylindres (soit DFV, pour double four valve en anglais) fait sa première apparition en course au Grand Prix des Pays-Bas 1967 dans les Lotus de Graham Hill et Jim Clark. De 1967 à 1983, il signe 155 victoires, remportant tous les titres mondiaux pilotes et constructeurs en Formule 1 de 1968 à 1974.
Ligier et Duckhams, DFV premières au Mans
La disparition de la catégorie Sport (5 litres) fin 1971 entraine celle de la Porsche 917. Les seuls prototypes atmosphériques restant en piste sont les 3 litres, autorisés depuis 1968. Ce changement de réglementation va favoriser l’arrivée du DFV aux 24 Heures du Mans, avec un défi de taille : fiabiliser pour un double tour d’horloge un moteur conçu pour le sprint des Grands Prix.
En 1971, le Ford Cosworth DFV fait sa première apparition aux 24 Heures dans la JS3 de Guy Ligier, qui en partage le volant avec Patrick Depailler (abandon). L’année suivante, il reçoit son premier drapeau à damier sarthois dans la Duckhams LM d’Alain de Cadenet et Chris Craft, avec la douzième place du classement général pour ce prototype dessiné par un jeune ingénieur sud-africain, Gordon Murray, futur concepteur de la McLaren F1 GTR victorieuse en 1995.
Gulf Racing, la première victoire
Alors qu’un autre trois litres, le V12 de Matra, règne sur les 24 Heures de 1972 à 1974, le Ford Cosworth DFV progresse régulièrement dans la hiérarchie grâce à l’écurie Gulf. En 1974, il entre dans le top 5 avec la quatrième place de Derek Bell et Mike Hailwood.
En 1975, après le retrait de Matra, l’équipe britannique remporte la course avec au volant l’un des grands duos de l’histoire des 24 Heures, Jacky Ickx et Derek Bell, partis de la pole position. C’est un triomphe pour le DFV, qui monopolise le podium. Les deux Mirage GR8 de Ickx/Bell et Jean-Pierre Jaussaud/Vern Schuppan (3e) encadrent la Ligier JS2 de Guy Chasseuil et Jean-Louis Lafosse. Par une de ces surprenantes coïncidences dont l’histoire du sport automobile a le secret, ce triplé manceau intervient alors qu’en Formule 1, le moteur britannique est battu pour la première fois depuis 1968 par Ferrari, revenu au sommet grâce à Niki Lauda.
En 1976, quatre Ford-Cosworth DFV terminent dans le top 10. Avec en huitième position le prototype d’un pilote constructeur français : le Manceau Jean Rondeau.
Rondeau-Ford Cosworth, la combinaison gagnante
Autour d’un moteur dont la fiabilité et la fonctionnalité lui ont valu plus de 150 victoires en Formule 1, Jean Rondeau conçoit un prototype alliant esthétique harmonieuse et facilité d’exploitation. De 1977 à 1979, ses voitures signent quatre victoires de catégorie et terminent à cinq reprises dans les dix premiers : 8e en 1976, 4e en 1977, 9e en 1978, 5e et 10e en 1979.
En 1980, après un long duel sous la pluie avec la Porsche 908/80 de Jacky Ickx et Reinhold Joest, Jean Rondeau réussit l’exploit, toujours inégalé à la veille du Centenaire, de remporter la course en tant que pilote constructeur. A cette victoire partagée avec Jean-Pierre Jaussaud s’ajoute la troisième place – assortie d’une nouvelle victoire de catégorie – des belges frères Jean-Michel et Philippe Martin, associés au Britannique Gordon Spice.
En 1981, toujours grâce à Jean Rondeau, le Ford Cosworth DFV termine une nouvelle fois sur le podium du classement général avec Jean-Louis Schlesser/Jacky Haran/Philippe Streiff et Gordon Spice/François Migault, respectivement deuxièmes et troisièmes derrière la Porsche 936/81 de Jacky Ickx et Derek Bell.
Les derniers chants du DFV
En 1982, dans le cadre d’une nouvelle réglementation des prototypes – dite du Groupe C – la cylindrée du V8 anglais est portée à 3.3 puis à 4 litres sous la dénomination DFL, avec comme meilleur résultat une treizième place en 1984. Pendant cette période, le DFL est toutefois devancé par le DFV, dixième en 1982 et onzième en 1984.
En 1983, sur le circuit urbain de Detroit, le DFV de Ford Cosworth remporte sa 155e et dernière victoire en Formule 1 dans un châssis Tyrrell piloté par un futur vainqueur des 24 Heures du Mans : l’Italien Michele Alboreto, victorieux dans la Sarthe en 1997 en compagnie de Stefan Johansson et Tom Kristensen. Cinq autres vainqueurs des 24 Heures ont également remporté des Grands Prix de Formule 1 avec le DFV : Graham Hill, Jacky Ickx, Bruce McLaren, Didier Pironi et Jochen Rindt.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : Jean Rondeau au volant de sa propre voiture sur la route de la victoire en 1980 (n°16), après avoir fini quatrième en 1977 (n°88) ; le Britannique Alain de Cadenet a été l'un des plus fidèles utilisateurs du moteur Ford-Cosworth pendant les années 1970, de la Duckhams de 1972 (n°68, 12e) au châssis Lola (3e en 1976, 5e en 1977, 7e en 1980 ici à l'image n°8) ; les deux prototypes Mirage GR8 sur la première ligne en 1975, avec Derek Bell au volant de la n°11 pour la première de ses cinq victoires aux 24 Heures du Mans.