CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS ⎮ En un siècle de 24 Heures du Mans, les freins ont toujours été depuis 1923 un sujet passionnant pour les ingénieurs et les pilotes. Exactement trente ans après la naissance du double tour d’horloge sarthois, Jaguar mène à la victoire une des innovations les plus importantes de l’histoire de l’automobile : les freins à disques.
Sur le circuit des 24 Heures du Mans comme ailleurs, les voitures de course vont vite, très vite… Mais pour faire pour être rapide sur un tour, il faut aussi freiner avant les virages… Les freins sont donc un élément incontournable de la performance au même titre que le moteur
Freinage en tambour majeur
Après les freins sur les arbres de transmission, après les freins à câbles, tous les concurrents à la reprise en 1949 freinent avec des freins à tambours et presque tous avec une commande hydraulique. Ceux-ci sont donc composés, sur chaque roue, d’un gros tambour en acier, puis en aluminium pour certaines voitures. Sur la surface circulaire interne de ce tambour viennent se plaquer deux mâchoires en acier, garnies de matériau de friction (d’où le non de garnitures de frein). Celles-ci sont articulées en une extrémité et c’est un piston hydraulique sur l’autre extrémité, mis sous pression par la pédale de frein via le maître-cylindre, qui vient pousser les mâchoires sur le tambour. C’est globalement assez efficace car les surfaces en contact (tambour/mâchoires) sont assez importantes.
Pour améliorer l’efficacité, on en vient rapidement à doubler le piston, afin que chacune des deux mâchoires puisse récupérer la totalité de la pression exercée sur la pédale de frein et que la totalité de ces mâchoires soient plaquées sur le tambour. De plus, il faut tirer sur les mâchoires pour libérer le tambour quand on ne freine pas par un système de ressorts. Enfin, il faut régler au plus juste la position des mâchoires par rapport au tambour, ni trop près car elles auraient continué à freiner, ni trop loin car l’attaque du freinage en aurait alors pâti. L’équilibrage du freinage sur les quatre roues pose donc parfois de grosses difficultés…
Mais le principe du frein, c’est de transformer l’énergie cinétique (c’est-à-dire l'élan de la voiture) en chaleur par la friction des matériaux entre eux. Or, dans le cas du frein à tambour, cette chaleur est mal évacuée car confinée dans la cloche que forme le tambour. Ainsi, il n’est pas rare que les voitures perdent l’efficacité de leur freinage en raison des trop hautes températures du tambour et/ou des mâchoires. Combien de pilotes ont eu à raconter leurs terreurs au freinage à Mulsanne ou à Arnage dues au « fading » (évanouissement ou perte d’efficacité) des freins surchauffés !
1953 : « lancer de disque » victorieux pour Jaguar
Au début des années 1950, héritant alors des innovations développées durant la guerre dans l’aviation et les chars, Dunlop et Jaguar développent ensemble un nouveau système de freinage pour les 24 Heures du Mans. La marque anglaise signe la victoire en 1951 avec une Type XK120 C, rapidement baptisées plus simplement Type C, encore équipée de freins traditionnels à tambours.
Mais les Mercedes 300 SL font figure d’épouvantails en 1952. Pour rivaliser avec les voitures à l’étoile, il faut à Jaguar deux nouvelles pistes : l’aérodynamique et les freins à disque. La première va causer la perte des Anglaises insuffisamment refroidies avec une nouvelle carrosserie, et la seconde n’est pas encore parfaitement mis au point.
Mais comment fonctionnent ces freins à disque ? Beaucoup plus simplement que les freins à tambour, finalement. Un simple disque d’acier est enserré entre deux plaquettes composées de matériaux de friction sur un huitième de sa surface. Les sept autres huitièmes sont à l’air libre et permettent un refroidissement efficace du disque. Les plaquettes sont pressées sur le disque grâce un dispositif hydraulique, appelé étrier, dans lequel un ou plusieurs pistons poussent sur la surface extérieure desdites plaquettes et augmentent la pression sur les disques. Autre avantage : nul besoin d’un système compliqué pour décoller les plaquettes quand on lève le pied de la pédale de frein. L’absence de pression suffit à libérer le disque.
La Jaguar Type C dispose donc en 1953 d’un freinage parfaitement mis au point, et terriblement efficace lors des freinages intensifs. Cet avantage va s’avérer décisif et Jaguar signe un probant doublé, passant pour la première fois le cap des 4 000 kilomètres en 24 heures (4 088 exactement), couvrant 477 km de mieux que sa sœur ainée de 1951 ! Une bonne part de cette performance est à porter au crédit des freins à disque, qui permettent un freinage plus puissant et stable dans le temps que les freins à tambour, le moteur n’ayant quant à lui gagné qu’une vingtaine de chevaux en deux ans.
Petit à petit, les freins à disque se généralisent. Ils deviennent ventilés par des ailettes entre les deux surfaces du disque. La taille des plaquettes augmente, les étriers comptent de plus en plus de pistons (jusqu’à huit). En revanche, le matériau est resté le même jusqu’à l’apparition des disques en carbone, mais cela ce sera une autre histoire à suivre dans le cadre de ce Centenaire….
LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS 1950-1953 - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : la Jaguar Type C victorieuse en 1953 (n°18) impose pour la première fois les freins à disques aux 24 Heures ; la Jaguar XK 120 de 1950 (n°15), devenue l'année suivante Type C dans une nouvelle carrosserie profilée, utilisait encore les freins à tambour pour sa victoire en 1951 (n°20) ; Tony Rolt (au volant) et son coéquipier Duncan Hamilton (à sa gauche dans la voiture), l'équipage vainqueur en 1953.