CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS ⎮ Depuis la reprise des 24 Heures du Mans en 1949, les systèmes de freinage ont connu deux évolutions majeures : les freins à disques, qui ont largement contribué à la domination de Jaguar pendant les années 1950, puis les freins en carbone, apparus trois décennies plus tard.
Depuis 1952, les Jaguar ont utilisé avec succès des freins à disque en lieu et place des freins à tambour, remportant la course en 1953 avec la type C, puis en 1955, 56 et 57 avec la type D. Toutes leurs concurrentes ont petit à petit adopté cette technologie pour le freinage, qu’il s’agisse de grosses ou de petites cylindrées.
S’ils sont un incontestable progrès par rapport aux freins à tambour, les disques présentent pourtant toujours certaines limites. Plus le pilote sollicite les freins, plus ils ont tendance à chauffer. Les ingénieurs vont donc chercher à refroidir ces disques pendant la phase de freinage, mais aussi durant les phases de repos en ligne droite. Ainsi sont nés les disques ventilés, en posant des ailettes qui font circuler de l’air frais entre les deux surfaces du disque. Des prises d’air et des boas (tuyaux souples) permettent d’amener de l’air frais sur les disques.
Pour être efficace, le frein à disque doit être à une température minimum pour avoir une bonne attaque de freinage et ne pas dépasser en cours d’utilisation une température maximum au-delà de laquelle les qualités de l’acier le composant se dégraderaient. A l’inverse, les disques en acier ne peuvent dépasser 400 degrés, sous peine de se détériorer rapidement et de ne pas assurer le freinage attendu, tant en puissance qu’en équilibre entre les quatre roues.
Par ailleurs, le poids du disque en limite la taille. En effet, l’ensemble de freinage (disque, plaquettes et étrier) est accroché au porte-moyeu de la roue et fait donc partie de ce que l’on appelle le poids non suspendu, qui est le plus pénalisant pour la tenue de route d’une voiture de compétition.
On s’est longtemps accommodé de ces deux limites. Mais à la fin des années 1980, les expériences combinées du sport automobile et de l’aéronautique vont permettre de développer de nouveaux matériaux pour les disques de freins.
La compagnie française Carbone Industrie a beaucoup travaillé sur le matériau carbone. En assemblant des nappes de carbone et des résines de collage, Carbone Industrie a réussi à développer des disques en carbone pour des voitures de compétition. Et conçu des plaquettes dans ce même matériau pour assurer la friction de freinage la plus performante.
Légèreté, performance et efficacité : le carbone au pouvoir
Ces freins en carbone présentent plusieurs avantages. D’une part, un poids à dimension égale bien inférieur à un disque en acier, ce qui permet de diminuer le poids non suspendu et donc d’offrir une meilleure tenue de route. D’autre part, le frein en carbone supporte des températures bien plus élevées, pouvant dépasser les 1000 degrés. Il en est de même pour les plaquettes, taillées dans les mêmes matériaux. Grâce à des températures de fonctionnement plus élevées, les disques peuvent être davantage sollicités, ce qui permet de raccourcir les distances de freinage. Moins de longueur de freinage correspond ainsi à plus de distance à pleine charge moteur, et on obtient donc un meilleur temps au tour.
Les freins en carbone ont néanmoins quelques inconvénients. Ils sont longs à fabriquer, le processus demandant un passage de plusieurs jours dans un four autoclave pour assurer une bonne homogénéité du disque. Par ailleurs, les premières générations s’usent un peu vite, et il faut planifier un changement de disque en course pendant les 24 Heures.
A la fin des années 1980, Nissan se laisse convaincre par Carbone Industrie de les utiliser au Mans et adopte ces ensembles disques/plaquettes en carbone sur les prototypes R88 C. Il faut également travailler sur les étriers et le liquide de frein afin qu’ils puissent supporter des températures bien plus élevées. Les freinages sont effectivement raccourcis, les pilotes pouvant solliciter leur pédale de frein à un tiers plus loin que leurs repères de freinages habituels avec disques en acier.
Côté spectateurs, on est surpris et emballé par la couleur rouge vif qui illumine les jantes lors des freinages appuyés, avec notamment un superbe effet visuel de nuit.
Très vite, d’autres fabricants viennent concurrencer Carbone Industrie, notamment AP Racing et Brembo, qui finit petit à petit par s’imposer comme l’acteur majeur.
Une fois le freinage carbone adopté, on va encore plus loin pour tenter de maitriser les températures de fonctionnement du disque. L’idée est toujours d’en ventiler l’intérieur, mais aussi de forcer de l’air sur ses surfaces externes. On enveloppe alors les disques dans des flasques de carbone positionnées sur les deux faces, fixées sur l’étrier ou le porte-moyeu, et dans lequel on pulse l’air en provenance des ouïes d’aération. L’étroitesse de l’espace entre le disque en rotation et le flasque fixe permet d’accélérer l’air en circulation. On appelle ce système « puits de chaleur ».
Si on maitrise encore mieux les températures de fonctionnement, cela complexifie le montage et augmente un peu le poids non suspendu. C’est beaucoup moins spectaculaire pour le public, avec la disparition de l’illumination des disques chauffés au rouge à Mulsanne, Arnage ou à la Chicane Dunlop. En observant les voitures au freinage, les spectateurs attentifs peuvent déterminer si la technologie du « puits de chaleur » est utilisée ou non. C’est jusqu’à présent le cas généralement pour les Hypercars.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : A la fin des années 1980, Nissan a été l'un des premiers partenaires de la société française Carbone Industrie pour le développement des freins en carbone aux 24 Heures du Mans, sur le prototype R88 C (n°32) ; gros plan sur un système de freinage en carbone chez Audi, lors des essais libres et qualifications des 24 Heures du Mans 2011 ; les disques avant en carbone chauffés au rouge lors des gros freinages, ici avec Alpine en 2017, sont un spectacle toujours apprécié du public et des photographes.