CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS Baptisé du nom d’un oiseau coureur des régions désertiques des Etats-Unis, du Mexique et d’Amérique centrale, Chaparral a marqué l’histoire des 24 Heures des années 1960 avec la couleur immaculée et les innovations de ses prototypes, nés de l’imagination du fondateur Jim Hall, pionnier notamment de l’utilisation des ailerons.
Héritier d’une grosse fortune du pétrole, Jim Hall débute dans les métiers de la compétition automobile à la fin des années 1950, en intégrant en 1957 la société Carroll Shelby Sports Car. Il fait simultanément ses premières armes en tant que pilote, faisant montre d’un très bon niveau. Son ami Hap Sharp, un autre pilote américain en ce début des années 1960, lui prête sa Lotus 18 pour disputer le Grand Prix des Etats-Unis de Formule 1 1961, qu’il termine une belle septième place. Jim Hall est à nouveau au départ de ce Grand Prix l’année suivante, avant de rouler pour la saison 1963 avec BRP, une équipe managée par le père de Stirling Moss, avec pour meilleurs résultats une cinquième et une sixième place.
L’oiseau sort du nid
Mais une nouvelle envie dévore Jim Hall depuis 1961 : devenir constructeur, toujours en association avec son grand ami Hap Sharp. Ils choisissent pour leur voiture le nom de Chaparral, un oiseau coureur du Texas. De son nom ornithologique grand géocoucou, il a aussi été immortalisé en un dessin animé connu en France sous le titre de Bip-Bip et le coyote (The Roadrunner en anglais).
C’est donc par les voitures de sport que Chaparral va commencer. La MK 1 est une barquette classique à châssis tubulaire conçu avec l’aide de Scarab, dont le moteur est encore à l’avant. Pour ce bloc, Jim Hall se tourne vers General Motors, avec un Chevrolet V8 de 5,2 litres de 300 ch. Cinq exemplaires sont construits et, de 1961 à 1963, la MK 1 signe douze victoires et dix deuxièmes places aux mains mains de Hall, Sharp et Heuer.
Convaincus par les formules européennes, Jim Hall et son équipe jugent le moteur central incontournable. La 1 est donc suivie en 1963 de la 2, d’une conception assez audacieuse. Outre le moteur central, le nouveau châssis est conçu sous forme de monocoque, avec des panneaux de résine collés ensemble, grâce aux connaissances d’Andy Green, qui utilisait cette technique pour la construction de voiliers de compétition.
Jim Hall tient les mêmes raisonnements que Colin Chapman pour sa Lotus 25 (toute en aluminium, elle), mais le temps de fabrication a été plus long pour cette Chaparral. La 2 restera malgré tout la première voiture de sport monocoque à moteur central, puisque la précédente, la Jaguar Type D, avait un moteur à l’avant. Le moteur reste le Chevrolet, mais à la puissance portée à 475 ch. La boîte de vitesses Colotti à quatre rapports sera remplacée rapidement par une automatique General Motors à deux rapports. La carrosserie est inspirée du concept-car Chevrolet Monza de 1962, dont on reconnaît entre autres la finesse du capot avant et la position des optiques.
L’oiseau s’envole pour Le Mans
Jim Hall s’intéresse aux 24 Heures du Mans dès cette année 1963. Il vient découvrir la course en tant que pilote, associé à Dan Gurney sur une Ferrari 330 LMB. La transmission mettra fin à la course des deux Américains après 126 tours couverts.
La Chaparral 2 nommée postérieurement 2A signe huit victoires en 1964, partagées entre Jim Hall, Hap Sharp et Roger Penske. La 2 A évolue en 2 C en 1965, une barquette déjà munie d’un aileron situé dans le prolongement du capot arrière.
Pour 1966, Hall et Sharp décident de se lancer en Championnat du monde de Voitures de sport. Nous sommes alors au paroxysme du duel Ford-Ferrari, et exister au coeur de ce combat de titans relève de la gageure. Les espoirs se portent sur la 2 D. Très proche de la 2C en termes de châssis, sa carrosserie est transformée en berlinette pour satisfaire aux règlements de la CSI (Commission Sportive Internationale, ancêtre de l’actuelle FIA).
Son aileron arrière disparaît au profit d’un becquet assez important et dispose d’une prise d’air dynamique au sommet du toit pour alimenter le moteur en air. Après des débuts contrariés sur le sol américain (abandon à Daytona et Sebring), elle est engagée en mai à Spa-Francorchamps pour le triple vainqueur des 24 Heures Phil Hill, associé à Jo Bonnier. Trois semaines plus tard, elle remporte la manche disputée sur les 22 kilomètres et les quelque 170 virages du circuit du Nürburgring.
L’enthousiasme est total en vue des 24 Heures du Mans à la mi-juin. Après avoir signé le dixième temps aux essais, Jo Bonnier part le couteau entre les dents et remonte les Ford et Ferrari, battant de deux secondes son temps de qualification. Malheureusement la pluie noie l’épreuve et il faut passer les pneus pluie. La 2D est équipée roues à cinq boulons, beaucoup plus longs à retirer et remettre que celles à papillon central des Ford et Ferrari. Elle plonge alors au classement puis abandonne sur panne de batterie peu avant minuit après 111 tours couverts.
La « nouvelle aile » de l’oiseau
Chaparral se tourne vers le championnat nord-américain CanAm avec une 2 E équipée d’un gigantesque aileron arrière au-dessus du capot arrière pour améliorer l’adhérence. Et avec une certaine efficacité, puisque la voiture va signer deux victoires et deux deuxièmes places.
La voiture réutilise le châssis en résine collé de la 2D, mais avec une carrosserie beaucoup plus carrée, des radiateurs repositionnés latéralement et un arrière tronqué. Le large becquet de la 2D disparaît au profit de l’aile reprise de la 2 E, tandis que les roues bénéficient enfin d’une fixation centrale. Pour affronter Ford à armes égales, le moteur Chevrolet est porté à 7 litres, et la boîte de vitesse est toujours automatique à deux vitesses. Le pied gauche libéré de l’embrayage, les pilotes peuvent agir sur une troisième pédale qui commande la position de l’aileron, à plat en ligne droite, incliné au freinage et en virage.
Après un début de saison difficile avec de multiples abandons, elle se présente au Mans en double exemplaire avec beaucoup d’espoirs. Phil Hill est associé au Britannique Mike Spence sur la voiture de pointe (la n°7), tandis que Bruce Jennings et Bob Johnson se partagent la n°8. Qualifiée deuxième, la 7 tient son rang en se mêlant aux Ford Mk II, Mk IV et autres Ferrari 330 P4. Mais elle rend les armes après 18 heures de course sur une défaillance de sa boîte de vitesse automatique, alors qu’elle s’est maintenue dans le peloton de tête. La numéro 8, bien moins rapide (de dix secondes au tour), avait abandonné depuis la dixième heure, en panne de démarreur.
C’est la fin de l’histoire Chaparral aux 24 Heures du Mans. La 2F termine néanmoins sa saison d’endurance sur une victoire à Brands Hatch fin juillet, qui sera la dernière de Phil Hill avant sa retraite sportive. Par la suite, Jim Hall et Hap Sharp retrouvent leur territoire de prédilection, le challenge CanAm, avant que Chaparral ne remporte les 500 miles d’Indianapolis en 1980 avec la monoplace 2K. Mais l’influence de la 2F sera durable : les ailerons apparaissent en Formule 1 dès 1968, et l’aileron mobile de la 2F préfigure quasiment le DRS, le volet mobile de l’aileron arrière utilisé depuis 2011 en F1 pour faciliter les dépassements.
Cinq ans après l'apparition de la Chaparral 2F, la Matra MS670 d'Henri Pescarolo et Graham Hill devient le premier prototype équipé d'un aileron arrière vainqueur des 24 Heures du Mans.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS 1966 & 1967 - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : la 2F au stand en 1967, avec le fondateur de Chaparral Jim Hall (derrière la portière ouverte) ; vue arrière et avant de la 2D de 1966 (n°9), avec notamment la plaque d'immatriculation du Texas, Etat d'origine de Jim Hall, né à Abilene en 1935 ; les deux positionnements de l'aileron de la 2F en 1967, horizontale sur la n°7 pour gagner de la vitesse en ligne droite, et inclinée sur la n°8 (suivie ici par la Ferrari 330 P4 n°19 de Günther Klass/Peter Sutcliffe) pour améliorer l'appui en virage.