|
L'Aston Martin DP214, une ligne incroyable - Photo : Hipwell Photography |
Pour mener la charge face à la Scuderia Ferrari, dominatrice dans la Sarthe depuis 1960, Aston Martin conçoit et développe un prototype de voiture de sport, dérivé de la DB4 GT, insuffisamment performante pour ambitionner une victoire au classement général des 24 Heures du Mans. Ainsi naitra l’Aston Martin DP212, qui affichera dès sa première participation à la classique mancelle, de probantes performances face aux Ferrari 330 TR et 250 GTO. Profitant d’une exceptionnelle vitesse de pointe, près de 300 km/h dans la ligne droite des Hunaudières, Graham Hill prendra même le leadership en début de course avant de connaitre une série de problèmes mécaniques justifiant son abandon après 78 tours couverts. Malgré cette casse, le ton était toutefois donné...
Galvanisés par cette première tonitruante, les ingénieurs d’Aston Martin œuvrent une année durant pour optimiser les performances aérodynamiques de la DP212, dont la stabilité à haute vitesse n’est pas parfaite. Après un passage dans la soufflerie de la Motor Industry Research Association, l’arrière typé Kammback et caractéristique de l’auto sera modifiée pour augmenter l’appui en ligne droite. Plusieurs séances d’essais privées seront menées afin de préparer les 24 Heures du Mans 1963, sans toutefois réellement convaincre les pilotes officiels, et au soir des préliminaires d’Avril, la décision de présenter aux commissaires techniques de l’ACO deux châssis DP214 est prise. Les voitures seront confiées à Innes Ireland, Bruce McLaren, William Kimberley et Jo Schlesser.
Après des essais encourageants (meilleur tour en 3’58’’7), le plan de course établi par David Brown pour ses deux DP214 est de 4’15 au tour. Au volant du châssis 0195, Bruce McLaren réalise un premier relais convaincant en occupant la 10ème place du classement général (1er GT) avant de laisser Innes Ireland poursuivre la course. Pour le pilote BRP en Formule 1, la remontée se fera jusqu’à la 6ème place du classement général avant qu’un piston n’explose à l’approche du virage de Mulsanne, après 60 tours de course. La déception se fait sentir dans les stands, la plus rapide des DP214 engagées n’ayant pas été plus loin que la DP212 de l’équipage Graham Hill/Richie Ginther en 1962...
Du coté du châssis 0194 de William Kimberley et Jo Schlesser, le scénario semble plus limpide. Outre un arrêt inopiné dès le troisième tour pour un gicleur obturé, le duo franco-américain occupe le 5ème rang à la 8ème heure de course. L’excitation atteint son paroxysme lorsque Jo Schlesser inscrit son nom sur la troisième marche du podium provisoire à 2 heures du matin, dimanche. Le niveau de performance des Aston Martin semble enfin s’accorder avec une fiabilité certaine. Malheureusement pour David Brown et ses pilotes, un piston défaillant entraînera l’abandon de la DP214 n°7 de la même manière que sa sœur disparue des tableaux quelques heures plus tôt… la désillusion est immense !
|
La DP214 atteignait 300 km/h dans les Hunaudières - Photo : Hipwell Photography |
John Wyer, Responsable de l’équipe Aston Martin, indiquera après ce double abandon que les DP214 avaient le potentiel pour remporter les 24 Heures du Mans. Les conséquences d’une préparation insuffisante n’ont ainsi pas permis de placer des pistons forgés à la place des standards coulés dans le ventre du 6 cylindres en ligne 3.7L. Ce fut la dernière apparition des voitures engagées par l’usine (jusqu’au retour officiel en 2005) et la sanction fut sans appel. La suite de la saison 1963 verra quelques belles performances des DP214 à l’occasion du Guard’s Trophy de Brands Hatch (Innes Ireland), de la Coupe Inter-Europa à Monza (Roy Salvadori) et à Montlhéry où Claude Le Guezec et Jo Schlesser remportent les deux courses organisées.
La fin de la carrière des Aston Martin DP214 se fera par des engagements à titres privés lors de courses sprint, notamment via l’écurie de John Dawnay au cours de l’année 1964. Deux autos sont engagées aux 2000 km de Daytona pour les équipages Brian Hetreed/Chris Kerrison (châssis 195) et Mike Salmon/Roy Salvadori (châssis 0194). Les deux voitures abandonneront sans avoir vraiment menacé les vainqueurs Pedro Rodriguez et Phil Hill sur Ferrari 250 GTO (NART). Aux 500 Km de Spa-Francorchamps, Mike Salmon et Brian Hetreed abandonnent sur problèmes mécaniques avant qu’un drame vienne endeuiller la carrière d’une auto au potentiel jamais totalement révélé. Lors des essais des 1000 km du Nürburgring, Brian Hetreed, propriétaire et pilote du châssis 0195, perdra le contrôle de sa voiture dans le virage de Bergwerk et se tuera dans l’accident. Enfin, Michael Salmon engage une voiture aux 24 Heures du Mans et la pilote aux côtés de Peter Sutcliffe. Après 17 h 45 d’une course honorable, l’équipage de l’Aston Martin DP214 n°18 sera disqualifié pour un remplissage d’huile non-autorisé.
Le châssis 0195, accidenté sur le Ring, sera entièrement découpé et détruit. Son moteur quant à lui retrouvera de la voie dans une Zagato DB4GT. Le châssis 0194 est donc l’unique exemplaire d’Aston Martin DP214 existant et est la propriété de Simon Draper, qui la pilotera au cours de nombreuses épreuves historiques à travers le Monde. L’occasion pour le public d’admirer l’une des GT les plus emblématiques des années 60 dont la valeur est quasiment inestimable !
Pierre-Yves Riom / ACO