CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS ⎮ Outre les très nombreuses innovations techniques au fil d’un siècle d’histoire, une composante essentielle du travail en essais et en course a considérablement évolué, de « l’écrit » à « l’oral » : la liaison entre la voiture en piste et les stands, entre le pilote et ses interlocuteurs ingénieurs et team managers.
Seul… le pilote est seul dans sa voiture, et concentré sur sa conduite. Il lui est très difficile de savoir ce qui se passe devant ou derrière lui. Si son rythme est bon ou trop lent… ou trop rapide pour la tenue de la voiture. Au bout de quelques boucles, et en fonction des évènements en pistes, le nombre de tours parcourus lui échappe et, de toute manière, le nombre de tour à accomplir est oublié lui aussi. Il a donc fallu très vite instaurer à chaque passage des communications du stand vers le pilote pour lui donner ces éléments.
Au début, on utilise une simple ardoise brandie par les responsables de stands, et sur laquelle sont inscrites quelques informations élémentaires. A l’époque, il n’y a pas de « muret des stands » et les voitures passaient au ras des jambes desdits responsable. Décision est donc prise de transférer le panneautage à Mulsanne en prévoyant une liaison téléphonique avec les stands. Un système assez pratique, puisque toutes les décisions peuvent être prises au passage d’un tour, puis téléphonées pour affichage au pilote environ deux à trois minutes plus tard environ. Il peut ainsi s’arrêter à la fin du tour où est la consigne lui est passée. Ce panneautage de Mulsanne est utilisé plusieurs décennies durant, et est notamment immortalisé dans film Le Mans avec Steve McQueen. Mais en 1951, une expérimentation de liaison radio stand-pilote est réalisée par Briggs Cunningham mais reste sans suite.
Les 24 Heures « à la radio »
L’avènement de la CB et des radios FM dès le milieu des années 1970 va bouleverser ces procédures bien établies. Dès 1977, Alpine et Porsche disposent de radio permettant aux stands de renseigner le pilote au volant. Fleurissent alors de petites antennes sur les voitures et d’autres très hautes sur les camions dans le paddock. Le signal doit en effet passer jusqu’au point le plus éloigné du circuit, Mulsanne, situé derrière une haute forêt de pins peu propice à la libre circulation d’un signal radio ! Ainsi, pendant très longtemps, les écuries de pointe doublent leur système de communication, utilisant à la fois liaison radio et panneautage à Mulsanne.
On met également en place rapidement la communication inverse : le pilote peut informer le stand de son ressenti sur la voiture pour avertir le pilote qui lui succèdera au volant, ainsi que les ingénieurs pour déterminer s’il doit y avoir une intervention sur la voiture au prochain arrêt. Il peut également indiquer des perturbations sur le circuit pour prévenir les autres voitures de l’équipe, les « sister cars » selon le jargon d’outre-Manche.
Le passage de la radio au Mans a toujours été une difficulté au vu de la longueur du circuit. L’arrivée de la radio numérique et surtout de la 4G téléphonique ces dernières années permet de fiabiliser totalement l’interconnexion entre la voiture et le stand. A tel point que le dialogue entre l’ingénieur de piste en charge d’une voiture et le pilote au volant est devenu quasi permanent, et les commentaires dans les deux sens se font virage par virage. Un pilote qui monte à bord d’une voiture branche systématiquement son casque à une prise jack au tableau de bord ou sur l’arceau, et commence dès la mise en route de la voiture par faire un « radio check » pour vérifier que tout va bien pour le dialogue à suivre.
Depuis l’arrivée des calculateurs embarqués dans les années 1980, une bonne connaissance de la voiture passe par une analyse poussée des paramètres enregistrés par le moteur (régime, températures, pressions, consommation, etc…) et par le châssis (mouvement des suspensions, action des amortisseurs, températures des pneumatiques, vibrations etc.). Ce qui permet aux ingénieurs et aux pilotes de « lire » véritablement comment se comporte la voiture tour après tour. Les paramètres pilotes sont depuis lors également enregistrés, et positionnés virage par virage grâce au GPS. Les pilotes peuvent ainsi regarder avec une précision au mètre près où ils commencent à accélérer, à freiner, à braquer, à débraquer, quand et à quel régime ils passent leur vitesse, quelle pression ils appliquent à la pédale de frein. Toute sa conduite est décortiquée et peut être comparée à celle de son coéquipier, ce qui les fait progresser les uns et les autres.
Données et conversations en temps réel
Ces données sont enregistrées dans les calculateurs des voitures et déchargées à chaque arrêt aux stands. Et très vite on a cherché, comme pour la voix, à récupérer ces mêmes données durant le relais de chaque pilote. Les progrès de l‘électronique (4G puis 5G, Wifi) permettent aux ingénieurs de récupérer en temps réel toutes les informations techniques et de pilotage. Les ingénieurs châssis et moteurs peuvent suivre l’état de leur partie mécanique respective à tout instant et ainsi anticiper les problèmes à venir. Les ingénieurs de piste peuvent dire à leurs pilotes à la sortie de chaque virage s’ils ont été constants par rapport au tour précédent ou moins rapide, s’ils doivent donc accélérer ou rester au même rythme. L’ingénieur de piste informe en permanence le pilote de sa position dans la course et sur la piste, et même des voitures devant lui qu’il va avoir à dépasser, ou de celles qui le rattrapent et qui vont lui prendre un tour…
Si la communication voiture vers le stand est autorisée, l’inverse ne l’est pas. C’est le pilote qui doit rester maitre à bord de sa voiture et il est hors de question qu’un ingénieur change quoi que ce soit à distance sur les paramètres moteurs, selon le principe de la télémétrie. Ce dernier doit demander, par l’intermédiaire de son ingénieur de piste/chef de voiture, au pilote d’agir sur tel ou tel paramètre grâce aux boutons et potentiomètres dont il dispose sur le volant et la planche de bord.
Derrière les voitures qui passent devant les spectateurs, circule ainsi dans les airs un grouillement d’informations électroniques…
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : Les antennes radio des Porsche (n°3) et Renault-Alpine (n°9) sont ici visibles sur l'aile avant gauche près des rétroviseurs ; deux instantanés de la liaison radio d'aujourd'hui chez Toyota, avec la prise jack scotchée au casque du triple vainqueur Brendon Hartley, et le Directeur Technique Pascal Vasselon à l'écoute sur la passerelle de commandement de Toyota Gazoo Racing.