CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS ⎮ Si la technologie du moteur diesel a construit son palmarès aux 24 Heures du Mans à partir de la deuxième moitié des années 2000, elle fait sa première apparition dans la Sarthe dès la reprise de la course en 1949, après l’interruption de neuf ans due à la Seconde Guerre mondiale, avant de connaître une longue histoire sur route jusqu'à la première victoire mancelle en 2006.
Depuis le début des moteurs thermique, on a utilisé de l’essence raffinée pour les alimenter. Or, à l’issue du raffinage du pétrole brut pour obtenir l’essence, il restait beaucoup de résidus : pétrole lampant, ainsi que des huiles et des graisses. L’allemand Rudolf Diesel (1858-1913) qui avait déposé des brevets pour faire fonctionner des moteurs à huile végétale, s’est tourné vers ces résidus de pétrole pour réaliser des moteurs à huile lourde, car c’était un carburant très bon marché.
Le premier moteur automobile est commercialisé par Rudolf Diesel lors de l’exposition universelle de Paris en 1900. De 1960 cm3 de cylindrée, il développe une puissance d’une vingtaine de chevaux… Diesel vend également des brevets aux grandes marques automobiles. Les moteurs diesel deviendront de plus en plus efficaces et performants grâce aux travaux de Sulzer et de Bosch sur les pompes à injection et les turbocompresseurs.
Il faudra néanmoins attendre 1936 pour découvrir une première voiture commercialisée avec un moteur diesel : la Mercedes 260 D. Après la guerre, Mercedes, Fiat, Austin et Peugeot le déclinent sur leurs véhicules.
La grande différence entre un moteur à essence et un diesel consiste à avoir un taux de compression très élevé pour ce dernier. Le taux de compression, c’est le rapport du volume mesuré entre le piston et la culasse au point mort bas, puis au point mort haut. Pour un moteur à essence, il se situe entre 8 et 10. Pour un moteur diesel, il se situe entre 18 et 25. L’objectif du diesel est alors d’auto-enflammer le mélange air/carburant grâce à la forte pression et à la température accumulée dans la chambre d’explosion, là où le moteur à essence a besoin d’une étincelle apportée par les bougies. Par conséquent, la technologie du moteur doit tenir compte de cette pression supplémentaire. Pistons, bielles, joints de culasse, soupapes, tous ces éléments doivent être dimensionnés pour résister à ce doublement du taux de compression. Enfin, l’injection du carburant à haute pression est indispensable dans la chambre de combustion (pressions allant jusqu’à 300 b sur les moteurs modernes et même jusqu’à 2000 b pour les moteurs common-rail). Il faut donc des pompes à injection et des injecteurs capables de générer ces pressions. Ce qui explique le coût plus élevé du moteur diesel.
Si la puissance d’un diesel est inférieure au moteur à essence à cylindrée égale, il génère en revanche un couple largement supérieur tout en tournant plus lentement qu’un moteur à essence. L’aide d’un turbocompresseur s’est généralisée depuis les années 1980. Enfin, grâce au fait qu’il y ait plus d’énergie dans 1 litre de gasoil que dans 1 l d’essence (de l’ordre de 10 %), il consomme nettement moins.
1949-1951, les pionniers
La première vague du diesel aux 24 Heures du Mans arrive en 1949, quand l’ACO, pour contribuer à une reprise plus rapide de la construction automobile, lui ouvre son règlement. Les frères Jean et Jacques Delettrez vont saisir cette opportunité pour engager une voiture à leur nom, équipée d’un moteur 6 cylindres de 4,4l d’origine GMC. Le moteur développe 70 ch et la vitesse de pointe dans les Hunaudières ne dépasse pas 175 km/h. Pourtant la voiture va rouler durant 123 tours avant de tomber en panne de gasoil à la vingtième heure.
Fort de cette belle expérience, les frères reviendront en 1950 avec la même voiture. Elle roulera jusqu’à la dernière heure lorsque son moteur cédera. Pourtant, des ennuis persistants lui auront fait parcourir moins de tours (120) qu’en 1949 tout en ayant roulé trois heures de plus.
En cette même année 1950, la Manufacture d’Armes de Paris, qui produisait un moteur agricole diesel, engage une MAP équipée de son 4 cylindres de 4960 cm3 compressé, ce qui lui valait une cylindrée corrigée de 9948 cm3 et développant 180 ch. L’histoire retiendra que c’est aussi la première voiture à moteur central arrière au 24 Heures et que l’illustre Pierre Veyron, vainqueur en 1939, en avait accepté le volant associé à François Lacour. Hélas, l’aventure s’arrête avec un système de refroidissement hors d’usage après 39 tours.
En 1951, les frères Delettrez reviennent avec quelques évolutions au niveau de la culasse. Mais ces modifications vont être la cause de son abandon, après 24 tours, distribution cassée.
Il faudra ensuite attendre plus de 50 ans pour qu’une nouvelle tentative diesel n’ouvre la voie aux années triomphantes entre 2006 à 2012.
Les années 2000: le diesel au rendez-vous de la victoire
Depuis la fin des années 80, le turbo diesel est en verve dans l’industrie automobile, soutenu par une fiscalité favorable au gas-oil et une grande sobriété. Les constructeurs, notamment les Français surfent sur cette vague.
En 2004, comme prélude à une nouvelle ère, l’écurie Taurus a installé dans un châssis Lola B2K un V10 double turbo Volkswagen (provenant d’un SUV Touareg) préparé par Caterpillar. La voiture fumait noir et n’était hélas pas très au point. Elle abandonne à la quatrième heure, après moult arrêts aux stands, la boîte de vitesses n’ayant pas supporté le couplé énorme du V10 diesel.
L’idée de faire rouler un prototype avec ce type de motorisation séduit alors les bureaux d’étude. Mais l’odeur et les fumées noires du diesel ne semblent pas très en phase avec l’idée de la compétition. Le FAP, ou Filtre à Particules, va résoudre ces problèmes.
Le FAP est un élément installé dans le circuit d’échappement pour piéger les particules résiduelles de la combustion, et de les rebrûler lors d’un cycle de régénération. Celui-ci consiste à élever fortement la température à l’intérieur du FAP en y injectant du gasoil non brûlé qui va s’enflammer avec la température et brûler les particules.
En 2006, Audi avait besoin de nouveaux défis après cinq victoires en 2000, 2001 et 2002, puis en 2004 et 2005 avec les R8 TFSI (injection directe d’essence), et l’intermède Bentley en 2003 (d’après technologie Audi).
C’est avec un V12 double turbos diesel que la firme allemande allait écrire les pages suivantes de son palmarès manceau. Le moteur, très bien né, est de 5500 cm3 tout en aluminium. L’injection common-rail, permet une pression de 1600 bars aux injecteurs. Il développe de 650 ch à 780 ch au fil des années avec un couple de plus de 1100 Nm. Les Audi R10, puis R15+ et enfin la R18 TDI vont enchaîner cinq victoires de 2006 à 2011, ne laissant à la Peugeot 908 HDi FAP que l’édition 2009.
Car dès 2007, Peugeot entre dans la course avec la 908 HDi FAP. Le moteur était également un V12 de 5500 cm3, double turbo, développant de 700 à 800 ch avec un couple de 1200 Nm. Le marketing insiste alors pour que la 908 porte la mention FAP, car Peugeot en faisait un argument publicitaire pour ses modèles de série. Mais si Audi ne l’indiquait pas dans le nom de son prototype, il était bel et bien équipé de Filtre à Particules.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : l'Audi R10 TDI, premier prototype diesel vainqueur au Mans en 2006, 2007 et 2008 ; la voiture à moteur diesel des frères Delettrez, vue aux 24 Heures en 1949 et 1950 ; au volant de l'Audi R15 TDI+, Timo Bernhard, Romain Dumas et Mike Rockenfeller ont établi en 2010 l'actuel record de la distance des 24 Heures ; la victoire de la 908 HDi FAP en 2009 est à la fois la troisième de Peugeot et à ce jour la dernière d'un constructeur français dans la Sarthe.