Pour certains pilotes, une victoire aux 24 Heures constitue le pinacle d’une carrière. Pour Tom Kristensen, son premier succès manceau marqua un nouveau départ vers les sommets de l’endurance, en tant que recordman des victoires dans la Sarthe et aussi, près de deux décennies durant, référence absolue de la discipline.

Premières 24 Heures, première victoire !

Mais revenons en 1997. A l’époque quasi trentenaire (il est né le 7 juillet 1967), Tom Kristensen évolue en monoplace internationale en Formule 3000 (ancêtre de l’actuelle FIA Formule 2) lorsqu’il est appelé à la rescousse par Ralf Jüttner, bras droit de Reinhold Joest, patron d’écurie quadruple vainqueur en 1984, 85, 94 et 96. Joest Racing est à la recherche d’un troisième pilote pour rejoindre Michele Alboreto et Stefan Johansson. Le Danois accepte… tout en sachant qu’il aura un souci de planning à gérer : il doit participer à une séance d’essais de Formule 3000 en Autriche le jour même des qualifications des 24 Heures. Pour rejoindre la Sarthe dans les temps, il loue de ses propres deniers l’avion privé de Joest Racing !

C’est donc avec seulement dix-sept tours couverts sur le circuit des 24 Heures qu’il prend le départ de la course. En embuscade derrière les deux Porsche 911 GT1 d’usine, le prototype TWR-Porsche du trio Alboreto/Johansson/Kristensen tourne comme une horloge. Après le retrait de la 911 GT1 n°25, alors leader, à la suite d’un accrochage peu avant 8 heures du matin, la n°26 est victime d’un incendie dans la ligne droite des Hunaudières à 13 h 43. Au terme d’une prestation irréprochable qui lui vaut même le meilleur tour en course, et avec l’aide précieuse de deux coéquipiers très expérimentés, Tom Kristensen remporte ses premières 24 Heures. L’histoire d’amour entre le Danois et la Sarthe ne fait que commencer.

La chasse au record

De 1997 à 2005, la réussite sarthoise de Tom Kristensen est exceptionnelle. En neuf éditions, il ne connaît que l’abandon (1998 et 99) ou la victoire (six consécutives de 2000 à 2005). Le 19 juin 2005, son septième succès fait de lui le nouveau recordman des victoires sarthoises, délogeant Jacky Ickx. Et porte même ce record à neuf, avec deux victoires supplémentaires en 2008 et 2013. « Quand Tom Kristensen a gagné pour la septième fois au Mans en 2005, j'ai trouvé ça formidable, car les records sont faits pour être battus, indique Jacky Ickx avec élégance. On ne gagne pas neuf 24 Heures du Mans par hasard. Pour Tom, le timing était parfait : il est élégant, il est talentueux, il est entouré par des gens très compétents comme j'ai pu l'être à mon époque, il a eu d'excellents coéquipiers au volant, et il a gagné neuf fois grâce à tout cet ensemble. »

Tom Kristensen passe même à deux reprises tout près du chiffre insensé de dix victoires mancelles. En 2014, il pointe en tête de la course dans la matinée du dimanche avant de finir deuxième, associé à Marc Gené et Lucas di Grassi. Quinze ans plus tôt, alors que le Danois est pilote d’usine BMW, un souci technique provoque à midi la sortie de route de son coéquipier JJ Lehto alors qu’il est en tête. Responsable de BMW Motorsport à cette époque, Mario Theissen a évoqué cette déconvenue bien des années plus tard, lors d’une soirée dédiée à Tom Kristensen. « J’ai dit à Tom : ‘je suis vraiment désolé, car tu devrais compter une victoire de plus au Mans’, raconte-t-il. Et Tom m’a répondu : ‘Oui, tu as raison, c’est la plus grosse déception de ma carrière parce que c’était une course fantastique. Nous étions leaders avec quatre tours d’avance et sans cette défaillance mécanique, ça aurait été une victoire extraordinaire. »

Sur la route du centenaire…

Dix-huit participations, neuf victoires, cinq autres podiums et seulement quatre abandons… Avec un tel palmarès, qui mieux que Tom Kristensen pour être l’ambassadeur du centenaire des 24 Heures du Mans ? Il sera ainsi présent à tous les événements partenaires du centenaire, comme la présentation en août dernier, lors du Concours d’Elégance de Pebble Beach (Etats-Unis) du trophée en bronze qui sera remis à l’équipage vainqueur le 11 juin 2023. En attendant les festivités à venir, laissons-lui le mot de la fin : « Déjà 25 ans… Je n’étais pas préparé à tout cela mais j’avais autour de moi une grande équipe, et c’est ce qu’il faut ici. Les gens respectent Le Mans et le centenaire, c’est le jalon inestimable d’un incroyable héritage. »

PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : la TWR-Porsche de ses premières 24 Heures... et de sa première victoire ; en 2003, la Bentley EXP Speed 8 de Tom Kristensen, Dindo Capello et Guy Smith a offert à la marque britannique sa première victoire... depuis 1930 ; Dindo Capello, Tom Kristensen et Allan McNish (de gauche à droite) ont formé chez Audi l'un des équipages les plus capés de l'histoire de l'endurance, avec un cumul de quinze victoires aux 24 Heures du Mans ; ci-dessous, Tom Kristensen sur la route de sa huitième victoire sarthoise en 2008.