CENTENAIRE DES 24 HEURES – HISTOIRES DE MARQUES ⎮ Plus d’un quart de siècle après la victoire d’Ivor Bueb et Ron Flockhart en 1957, Jaguar se lance un défi de taille : mettre un terme à la domination de Porsche. Ce retour va enflammer les supporters britanniques pendant la deuxième moitié des années 1980 et ajouter deux succès supplémentaires aux cinq remportés entre 1951 et 1957.
Ce retour de Jaguar est tout d’abord une initiative américaine. Fondée en 1965 par le pilote Bob Tullius et animatrice des pelotons des courses sport américaines, l’écurie Group 44 bâtit sa réputation en faisant courir des voitures britanniques, notamment des Triumph, MG, ainsi que des Jaguar Type E et XJS.
Le Jaguar d’Amérique
En 1983, Group 44 signe quatre victoires dans le championnat d’endurance américain IMSA avec son propre prototype Jaguar, baptisé XJR 5, propulsé par un V12 de 6 litres. L’année suivante, Bob Tullius en engage deux exemplaires aux 24 Heures du Mans. Le pilote propriétaire signe à la fois son propre retour dans la Sarthe (sa dernière participation remonte à 1968 sur la Howmet à turbine) et celui du constructeur britannique.
Après un double abandon cette année-là, Bob Tullius termine treizième et vainqueur de la catégorie GTP (catégorie Prototype principale du championnat IMSA à cette époque) en 1985, associé sur la n°44 à son compatriote Chip Robinson et au français Claude Ballot-Léna. Dans l’équipage de la n°40, le vainqueur des 24 Heures 1977 Hurley Haywood et ses coéquipiers Brian Redman et Jim Adams sont contraints à l’abandon.
Entre alors en scène le pilote et propriétaire d’écurie britannique Tom Walkinshaw. En 1984, alors que Bob Tullius ramène Jaguar au Mans, Walkinshaw s’adjuge le titre de champion d’Europe FIA des voitures de tourisme, ainsi qu’une victoire de prestige aux 24 Heures de Spa, au volant d’une XJS préparée et modifiée aux bons soins de sa structure TWR. Et se voit confier le programme Jaguar aux 24 Heures du Mans par John Egan, grand patron de la marque à cette époque.
Jaguar face à Porsche
Pour TWR, la tâche est colossale, car il s’agit de détrôner Porsche, invaincu au Mans depuis 1981, et nouveau détenteur du record de victoires, subtilisé à Ferrari en 1985. Mais Tom Walkinshaw voit grand. En confiant la conception de sa lignée de prototypes Groupe C à Tony Southgate, ingénieur de haute réputation ayant notamment officié chez Lotus en Formule 1. Et en recrutant des pilotes de tous horizons jusqu’en 1990 : vainqueurs des 24 Heures (Hurley Haywood, Henri Pescarolo), experts de l’endurance, espoirs ou pilotes confirmés de la Formule 1, animateurs des courses de voitures de tourisme, vainqueur des 500 miles d’Indianapolis… « Jaguar était une équipe très professionnelle et les voitures étaient très agréables à conduire », indique Henri Pescarolo, pilote Jaguar aux 24 Heures 1988.
C’est aussi un duel entre deux configurations techniques moteur différentes : 6 cylindres à plat 2.8 litres turbocompressé pour Porsche, V12 atmosphérique 7 litres pour Jaguar. Après un triple abandon en 1986, TWR pointe en tête pendant les premières heures de course en 1987 et signe un premier top 5, avec la cinquième place de Raul Boesel, Eddie Cheever et Jan Lammers.
En 1988, cinq TWR Jaguar sont engagées face à trois Porsche d’usine, et le duel tient ses promesses. Après une longue lutte avec la Porsche de Vern Schuppan/Sarel van der Merwe/Bob Wollek, Johnny Dumfries, Jan Lammers et Andy Wallace s’installent en tête à la dixième heure pour ne plus la quitter. Trente et un ans après, Jaguar remporte une sixième victoire mancelle devant la Porsche de Derek Bell/Klaus Ludwig/Hans Joachim Stuck, assortie de la quatrième place de Kevin Cogan/Derek Daly/Larry Perkins. Venus en (très grand) nombre, les supporters britanniques sont en liesse : « dans les tribunes de la ligne droite des stands, c’était une ambiance digne du stade de Twickenham pendant le Tournoi des 5 Nations », aime à se souvenir Jean-Marc Teissèdre, initiateur de l’annuel officiel des 24 Heures et grand amateur de rugby, comme tout natif du Sud-Ouest de la France qui se respecte.
« À cette époque, on trouvait chez TWR des pilotes venus d'Italie, de France, des États-Unis, du Danemark... bref du monde entier, raconte Jan Lammers. En fait, c'était agréable, parce qu'avec cette bande plutôt cosmopolite de pilotes, TWR ne pouvait pas fonctionner comme un team 100 % britannique, et donc l'esprit du management était très ouvert, il y avait tellement de gens venus de partout. Nous avons passé des moments fantastiques ensemble. »
Jaguar face au Japon
En 1987 et 88, Jaguar a brillamment restauré la tradition des grands duels des 24 Heures du Mans. Après le retrait de l’équipe officielle Porsche, de nouveaux adversaires se font jour en 1989 et 90 : Sauber-Mercedes et Nissan.
En 1990, Jaguar sort vainqueur d’un duel avec Nissan (devenu cette année-là le premier constructeur japonais à signer la pole position des 24 Heures), arbitré en début de course par la Porsche 962 C privée de Walter Brun/Oscar Larrauri/Jesus Pareja. La marque britannique signe un doublé emmené par les vainqueurs Martin Brundle/Price Cobb/John Nielsen et leurs dauphins Franz Konrad/Jan Lammers/Andy Wallace. « Je n'oublierai jamais le podium de 1990, se souvient Martin Brundle. Jaguar a constitué ma première expérience en endurance. On ne peut pas piloter pour une marque aussi légendaire sans penser et avoir envie de se documenter sur les Jaguar Type C, Type D, et aussi les Bentley Boys, une telle histoire et un tel patrimoine. Ça fait partie intégrante de l'expérience. Bien entendu, c'était quelque chose de spécial de faire partie d'une grosse équipe compétitive comme TWR, et de bénéficier du soutien de dizaines de milliers de fans de Jaguar. »
La saga TWR Jaguar en prototype s’achève l’année suivante sur un tir groupé derrière la Mazda victorieuse, avec Raul Boesel/Michel Ferté/Davy Jones (2e), Kenny Acheson/Teo Fabi/Bob Wollek (3e) et John Nielsen/Andy Wallace/Derek Warwick (4e). L’histoire sarthoise de TWR se poursuit avec deux victoires consécutives en 1996 et 97 du châssis TWR-Porsche, dont le point de départ est la Jaguar XJR-14 vue aux essais des 24 Heures 1991. Et à la veille du Centenaire, les sept succès de Jaguar font encore aujourd’hui du félin d’outre-Manche le quatrième constructeur le plus victorieux au Mans, derrière Porsche (19 victoires), Audi (13) et Ferrari (9).
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS 1984-1990 - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : la Jaguar XJR-12 victorieuse en 1990 (n°3) ; les Jaguar XJR 5 de Group 44 (ici en 1984) ont été victorieuses aux Etats-Unis avant d'initier le retour de la marque aux 24 Heures du Mans ; la XJR-9 LM (n°2) signe en 1988 la sixième victoire de Jaguar aux 24 Heures ; Andy Wallace, Johnny Dumfries et Jan Lammers (de gauche à droite), le trio vainqueur de 1988 ; la XJR-12 des vainqueurs 1988 Lammers et Wallace associés à l'autrichien Franz Konrad, avant le départ des 24 Heures 1990.