De 1923 à 1939, les 24 Heures du Mans ont vu s’affronter quelques-uns des meilleurs pilotes de cette période, mais aussi des dames, les précurseurs des actuels gentlemen-drivers, entrepreneurs en semaine et pilotes le week-end, des aristocrates ou encore d’authentiques princes héritiers. Dans cette généalogie pionnière, il est une génération à part : celle des « Bentley Boys ».
Ils sont riches, bons vivants, habitent tous dans le très chic quartier de Grove à Londres. Et ont forgé l’un des premiers groupes de pilotes véritablement habités par un esprit de famille – lointain ancêtre de celui des pilotes Audi dans les années 2000. On pourrait même parler d’esprit de corps, car à cette époque, l’empreinte de la Première Guerre mondiale est très forte chez les huit Bentley Boys qui ont signé les cinq victoires de la marque entre 1924 et 1930.
1924-1930 : les 24 Heures et la vie à toute allure
Premier triple vainqueur des 24 Heures (1928-29-30), Woolf Barnato achève le conflit avec le grade de capitaine, avant de devenir lieutenant-colonel pendant la Deuxième Guerre mondiale ; John Duff (vainqueur en 1924 avec Frank Clement) a combattu en 1917 en Belgique à Passchendaele ; Dudley Benjafield (vainqueur en 1927 avec Sammy Davis) sert en Egypte ; il faudra trois ans à Bernard Rubin (1928), gravement blessé en 1917, pour retrouver l’usage de ses jambes ; Henry Birkin (1929) atteint le grade de lieutenant dans l’aviation ; Glen Kidston (1930) est quant à lui capitaine de Corvette et sous-marinier.
Deux « French Bentley Boys »
Deux Français ont figuré parmi les Bentley Boys. Deuxième dès sa première participation sur Sunbeam en 1925, Jean Chassagne rejoint Bentley après avoir piloté une Aries en 1926 et 1927. En 1928, il termine cinquième puis quatrième en 1929. Ces deux résultats ont constitué le point d’orgue d’une riche carrière qui a vu Jean Chassagne signer la pole position des 500 miles d’Indianapolis en 1914 et remporter le RAC Tourist Trophy en 1922. Tout comme ses collègues britanniques des Bentley Boys, il combat pendant la Première Guerre mondiale, en tant que pilote de chasse.
En 1929, Jean Chassagne est précédé au classement par son compatriote André d’Erlanger, troisième. Aristocrate français (il porte le titre de baron) né en Grande-Bretagne, André d’Erlanger compte trois participations sarthoises. André d’Erlanger et Jean Chassagne ont tous deux côtoyé des vainqueurs des 24 Heures du Mans sur Bentley. Le premier était associé en 1929 à Dudley Benjafield, tandis que le second a eu pour coéquipiers Tim Birkin (en 1928 et 1930) et Frank Clement (en 1929).
Les autres « Bentley Boys »
Si la postérité à surtout retenu les Bentley Boys vainqueurs, plusieurs autres ont connu des fortunes diverses en course au volant des voitures de la marque britannique : Jack Dunfee (2e en 1929 avec Glen Kidston), Richard Watney (2e en 1930 avec Frank Clement), Leslie Callingham (abandon en 1927 avec Frank Clement, 5e avec Lord Howe en 1930), Tommy Thistlewayte et R Clive Gallop (abandon 1926), George Duller (abandon 1926 avec Frank Clement et en 1927 avec André d’Erlanger), Giulio Ramponi (abandon en 1930 avec Dudley Benjafield), ou encore Clive Dunfee (abandon en 1930 avec Sammy Davis), frère de Jack.
Les Bentley Boys au-delà des 24 Heures
Les Bentley Boys n’ont pas seulement étanché leur soif d’aventure et de sensations fortes en gagnant les 24 Heures du Mans. Bretteur de talent, John Duff devient cascadeur à Hollywood sur des films de cape et d’épée. Avant les 24 Heures, Dudley Benjafield, spécialiste en bactériologie, est au cœur de la lutte contre la pandémie de grippe espagnole de 1919-1920. Journaliste, écrivain et caricaturiste, Sammy Davis est l’une des grandes plumes automobiles de l’entre-deux guerres.
Glen Kidston se tourne vers l’aviation et, un an après sa victoire mancelle, établit en 1931 le record de la liaison aérienne Angleterre-Le Cap (Afrique du Sud), soit 12 900 kilomètres à la moyenne horaire de 211 km/h. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Woolf Barnato sert dans la Royal Air Force, assurant sur le territoire britannique la protection des sites de construction aéronautique contre les bombardements de la Luftwaffe.
Sept décennies plus tard, une deuxième génération de « Bentley Boys » très cosmopolite fait briller le vert de course britannique (Racing Green en anglais) de Bentley aux 24 Heures du Mans. Mais ceci est une autre histoire…
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO & D.R. / BENTLEY MOTORS) : la première Bentley victorieuse des 24 Heures en 1924 ; le quadruplé historique de 1929, avec Woolf Barnato/Henry Birkin (n°1, vainqueurs), Jack Dunfee/Glen Kidston (n°9, 2e), Dudley Benjafield/André d'Erlanger (n°10, 3e) et Frank Clement/Jean Chassagne (n°8, 4e) ; portrait de groupe à la fin des années 1920, avec (de gauche à droite) Frank Clement, Leslie Callingham, Woolf Barnato (derrière André d'Erlanger), George Duller, Walter Owen Bentley, Sammy Davis, Clive Dunfee et Dudley Benjafield ; Woolf Barnato (à gauche à bord de la Bentley), triple vainqueur des 24 Heures en trois participations, lors de sa victoire de 1929 en compagnie de Tim Birkin. CI-DESSOUS (LOUIS MONNIER / ACO) : l'inauguration de la rue des Bentley Boys lors des 24 Heures du Mans 2019 avait coïncidé avec le centenaire de la marque britannique. De gauche à droite : Gilles Huttepain (membre du Comité Directeur de l'ACO représentant Pierre Fillon), Brian Gush (responsable de la compétition de Bentley à cette époque) et Stéphane Le Foll (maire du Mans).