Peu d’événements sportifs peuvent se targuer d’un siècle d’existence. C’est le cas du double tour d’horloge sarthois, vite devenu la plus grande course d’endurance de la planète grâce à une histoire aussi atypique que riche.
Quand ils se sont retrouvés sous la verrière du Grand Palais en 1922, le secrétaire général de l’Automobile Club de l’Ouest Georges Durand, le journaliste polytechnicien Charles Faroux et l’industriel Émile Coquille s’imaginaient-ils que, cent ans plus tard, leur petite réunion parisienne défraierait encore la chronique aux quatre coins du monde ? S’imaginaient-ils que ce que l’on appelait en 1923 le Grand Prix d’Endurance de 24 heures – Coupe Rudge-Whitworth allait devenir la plus grande course d’endurance du monde ?
Les qualificatifs utilisés sont forts, mais à la hauteur du mythe qu’est devenu cet événement au fil des ans. Un circuit de 17 kilomètres qui a évolué mais qui est toujours d’une longueur inhabituelle, les affres de la nuit, parfois les intempéries... Tous les grands constructeurs mondiaux – généralistes comme sportifs - sont depuis venus dans la Sarthe, tester la robustesse de leur machine, utiliser la course comme un vecteur marketing à même d’accroître leur notoriété, battre des records de vitesse ou de distance et plus encore faire étalage aux yeux du grand public de leurs prouesses technologiques.
Terre d’exploit pour Bentley dans les années 20, Alfa Romeo dans les années 30, la classique mancelle a même survécu à la Deuxième Guerre mondiale malgré les dégâts conséquents engendrés sur site. Preuve qu’elle avait déjà à l’époque, une place à part dans le patrimoine français. À la suite du tragique accident de 1955 ayant causé de nombreuses victimes, des travaux de grande envergure sont réalisés afin de rendre le circuit plus sûr. La sécurité, voici un thème qui a toujours été au centre des préoccupations de l’ACO.
Jaguar et Ferrari ont particulièrement brillé dans les années 1950, avant que le géant Ford choisisse Le Mans pour venir, sur la piste, laver l’affront que lui avait fait la marque italienne, qui avait repoussé manu militari l’offre de rachat de la firme à l’ovale bleu. Un épisode magnifié dans le film Le Mans 66 de James Mangold, sorti en 2019, avec Matt Damon et Christian Bale dans la peau de Carroll Shelby et Ken Miles. Des acteurs justement, il y en eut pléthore sur le circuit. Steve McQueen est venu y tourner l’un de ses chefs d’oeuvre, alors que Paul Newman a lui tout simplement failli remporter l’épreuve en 1979. Une décennie 70 qui a vu un ogre commencer à faire de ce circuit son jardin : Porsche, qui détient aujourd’hui le record de victoires avec 19 triomphes au compteur.
Mais Le Mans, c’est aussi des histoires humaines. L’exploit de Louis Rosier, qui aurait passé 23h30 au volant de sa Talbot pour s’imposer en 1950, ou encore celui de Henri Pescarolo, remonté à la deuxième place dans la nuit et sous la pluie, en 1968, à bord d’une Matra en panne d’essuie-glace. Une liste non exhaustive sur laquelle figure également le Sarthois Jean Rondeau, seul pilote vainqueur au volant d’une voiture de sa propre conception en 1980. Et ce face à des Porsche officielles, dont une confiée à un certain Jacky Ickx. Le Belge - alias M. Le Mans – a longtemps été le recordman de victoires. Nous nous sommes mêmes demandés s’il serait possible de le détrôner. En décrochant neuf succès en 18 participations seulement, dont sept avec Audi dans les années 2000, Tom Kristensen a prouvé que les records étaient faits pour être battus, et le sien pourrait également, un jour, être effacé des tablettes.
Enfin, Le Mans, c’est une ville, voire même une région, qui vit à l’unisson de la course, de sa course, qui lui permet de rayonner à travers le monde. Des locaux, des commerçants qui se mettent au diapason de leur épreuve fétiche, à laquelle ils participent tous de près ou de loin. Rares sont les anciennes familles mancelles à ne pas compter dans leur rang un aïeul ayant participé à la grand-messe de la mi-juin, derrière le volant, dans l’organisation, en tant que mécanicien voire en tant que commissaire ou bénévole. Des commissaires, qui étaient encore près de 1 600 en juin 2022, lors de la 90e édition, et sans qui il serait impossible de lâcher ces 62 bolides en piste.
La sécurité et la technologie, tels ont été les deux chevaux de bataille de l’Automobile Club de l’Ouest depuis sa création en 1901. Aujourd’hui, l’avenir s’écrit avec l’Hydrogène, et cet organisme qui n’était il y a 100 ans qu’un petit club automobile régional s’inscrit encore comme le précurseur avec ce nouveau mode de propulsion. Pour aller plus loin, plus vite, plus longtemps et pour que la légende continue de s’écrire, encore et encore, comme l’avaient rêvé les trois instigateurs de cette épreuve hors normes.
Une course officiellement centenaire
Ce sont les 26 et 27 mai 1923 que s’est déroulée la première édition des 24 Heures du Mans. La liste des engagés présentait 33 voitures et des marques telles que Lorraine-Dietrich, Bentley, Chenard & Walcker, Delage, Bugatti… Le départ fut donné simultanément à tous les concurrents. Sur la grille de départ, les voitures étaient rangées par ordre décroissant des cylindrées, par files de deux, numéros impairs à droite et numéros pairs à gauche.
En course, malgré la rapidité des Bignan et des Bentley, ce sont les Chenard & Walcker qui ont imposé leur rythme et mené l’épreuve de bout en bout. Si, à l’époque, il n’y avait pas de véritable classement, la Chenard & Walcker Sport #9 d’André Lagache et René Léonard a ouvert le palmarès des 24 Heures du Mans.
Depuis désormais un siècle, la rigueur du règlement et sa stricte application constituent la marque de fabrique des 24 Heures du Mans. Le Mans est un laboratoire, un banc d’essai au service de l’automobile et des automobilistes. Il en est ainsi depuis 1923 et toutes les innovations technologiques dues à cette épreuve démontrent le bien-fondé de la démarche. Les sept constructeurs (Toyota, Porsche, Ferrari, Vanwall, Cadillac, Peugeot et Glickenhaus) annoncés au départ pour briguer la victoire de l’édition du Centenaire prouvent, par cet engagement unique dans les annales, l’intérêt des 24 Heures du Mans pour le progrès automobile à l’heure où les révolutions de la mobilité sont plus que jamais d’actualité.