Qui était Phil Hill, celui qui ne voulait pas de la lumière ?
Il est l’un des rares à cumuler victoire aux 24 Heures du Mans et championnat du monde de Formule 1. Méconnu de nos jours, Phil Hill est une légende des sports mécaniques, notamment apprécié pour sa gentillesse, son esprit tranquille, mais aussi et surtout, son immense talent. Retour sur la carrière d’un Américain pas comme les autres.
La traversée de l’Atlantique
Quelque part dans la vaste Université de Californie du Sud en 1945, le jeune Philip, 18 ans, n’est pas le plus attentif. Il faut dire que son cursus, spécialisé dans l’administration des affaires, ne lui plaît pas tant que ça. Lui, ce qu’il aime, ce sont les voitures, et par-dessus tout, la mécanique. Sur son temps libre, il s’adonne à sa passion ; travailler sur des automobiles anglaises ramenées d'outre-Atlantique par les soldats américains à l’issue de la guerre.
Lassé par ses études, il quitte l’université après deux ans seulement, afin d’embrasser pleinement son rêve. Et très rapidement, sa sensibilité mécanique se traduit au volant. Il effectue un premier voyage en Europe en 1949, en tant que stagiaire. Il courrait déjà au volant de sa MG personnelle aux USA, mais à son retour, sa carrière passe dans une autre dimension. Il multiplie les bonnes performances dans des épreuves de premier plan.
Une opportunité aux 24 Heures du Mans se présente à lui en 1953. Sur une discrète O.S.C.A MT-4, il est contraint à l’abandon peu après la 10e heure. De retour sur sa terre natale, il préfère les Ferrari. Depuis quelques années déjà, il s’était laissé séduire par les modèles marqués du Cheval Cabré, surtout lors de la Panamerica, une course d’importance à l’époque. Enzo Ferrari, pas un grand fan des États-Unis, ne peut rester insensible au potentiel de ce marché ; le rapprochement se fait naturellement. Au début des années 1950, Hill fait la rencontre de Luigi Chinetti, naturalisé américain et déjà trois fois vainqueur des 24 Heures du Mans. Ce dernier est dans les petits – voire grands – papiers de Ferrari. En plus de lui apprendre l’italien, c’est ainsi que débute la grande histoire entre Hill et la firme de Maranello.
Rosso Corsa
En 1955, c’est officiel ; il rejoint la Scuderia Ferrari, rêve de tout pilote. Sur une 121 LM, il abandonne encore aux 24 Heures à la sixième heure, la faute à un radiateur crevé. Dans le même temps, il court toujours au pays de l’Oncle Sam sur des Ferrari privées, et enregistre une deuxième place aux 12 Heures de Sebring avec un certain Carroll Shelby comme coéquipier. Il retente sa chance en 1956 du côté de la Sarthe, sans plus de succès ; un accident met fin à son épreuve peu avant la mi-course. L’édition suivante, même résultat. Mais il est à un tournant de sa carrière. Tout d’abord, sa cinquième expérience au Mans est la bonne. Cette fois associé au Belge Olivier Gendebien, il remporte les 24 Heures 1958 avec brio, sur l’une des mythiques Ferrari Testa Rossa. Il est le premier homme né aux États-Unis à réaliser cet exploit.
PHOTO 1/3
Un casque pour le moins... original.
Un mois plus tard, il décroche une opportunité en Formule 1, sur une Maserati privée – au grand dam d’Enzo Ferrari. L’expérience est concluante. Deux manches plus tard, il fait partie intégrante de la Scuderia en F1 ; le Graal. Phil Hill devient l’ambassadeur américain du Cavallino Rampante en Europe, l’un des plus fameux pilotes en rouge de son temps. Le Mans, après sa victoire, lui résiste. Il abandonne deux fois consécutivement, en 1959 et 1960, tantôt pour un – autre – radiateur, et tantôt pour une stupide panne d’essence. Sur la dernière de ces éditions, il partage le volant avec un autre as Ferrari ; l’Allemand Wolfgang Von Trips.
Phil Hill s’affirme davantage en Formule 1 ; fin 1960, il remporte son premier Grand Prix à Monza, le temple de la vitesse. Naturellement, il se place en tant que favori pour l’exercice 1961, que ce soit dans sa voiture d’endurance ou sa monoplace.
Une histoire douce-amère
Retour au Mans. Une nouvelle fois favori, il transforme l’essai sur sa TRI/61 et s’impose, toujours avec Olivier Gendebien. C’est le début de la domination Ferrari, et d’ailleurs, trois modèles italiens occupent le podium final. Il y a plus de suspense en F1, quoique. Wolfgang Von Trips, son coéquipier au sein de la Scuderia, se dirige tout droit vers un titre mondial. Mais Hill n’a pas dit son dernier mot. Sur les 156 « sharknose », les deux s’adonnent à une belle lutte. En débarquant pour l’avant-dernière manche à Monza, tout peut se passer ; même si Von Trips mène au classement général. D’ailleurs, ce dernier part de la pole position.
PHOTO 1/2
Ici, la TRI/61 #10 de Gendebien/Hill, juste devant la TRI/61 du N.A.R.T emmenée par les frères Ricardo et Pedro Rodríguez, qui a offre une âpre lutte avant d'abandonner. Plus loin, la Ferrari 246SP #23 officielle, de Von Trips/Ginther.
Mais le sort en décide autrement. Alors que la course bat son plein, l’Allemand s’accroche avec le légendaire Jim Clark dans le deuxième tour. Sa Ferrari est projetée sur un talus, rebondit dans la foule et termine sur la piste. Von Trips est tué sur le coup, tout comme onze spectateurs, bientôt rejoints par quatre autres. Le bilan est effroyable mais la course continue. Au fil des tours, toutes les Ferrari cassent leurs moteurs… sauf une. Celle de Phil Hill, qui coupe le damier en tête. Au sortir de sa voiture, alors qu’il ne sait rien de la tragédie, l’ingénieur Carlo Chiti lui apprend la funeste nouvelle, aussi synonyme de titre mondial.
"Je n’arrivais pas à l’accepter ; J’avais gagné la course et le championnat, mais l’accident m’a ôté toute joie"
Phil Hill
Il ne voulait pas de la lumière, et la lumière ne voulait pas de lui. Phil Hill devient le premier – et toujours le seul – à décrocher une victoire aux 24 Heures et le titre de Formule 1 dans la même année. Mais tout cela est éclipsé par un sombre épisode.
Plus le même homme
L’Américain, en grand mélomane, se console comme il peut à l’opéra, l’une de ses grandes passions qu’il peut assouvir à sa guise sur le vieux continent. Bien qu’il reste l’un des meilleurs pilotes du monde début 1962, la flamme, elle, est en partie éteinte.
"Je ne ressens plus autant le besoin de courir, de gagner. Je n’ai plus faim comme avant. Je ne suis plus prêt à prendre le risque de me tuer"
Phil Hill
Il est de retour, à 35 ans, pour une ultime saison avec la Scuderia. En Formule 1, ça ne passe plus. Il n’est jamais rentré dans le moule créé par Enzo. Trop discret, trop feutré, trop à part. Malgré trois podiums, il n’est pas dans le coup et termine même l’année avec Porsche. Au Mans, en revanche, l’association avec Olivier Gendebien fait de nouveau des merveilles. Sur la magnifique Ferrari 330 TRI/LM Spyder, il remporte pour la troisième fois le double tour d’horloge, et cimente ainsi sa légende dans la Sarthe. Le tout sans jamais la moindre once d’animosité envers ses adversaires.
"Je ne fais pas le bon métier. Je ne veux battre personne, je ne veux pas être le grand héros. Je suis un homme pacifique, rien de plus"
Phil Hill
PHOTO 1/2
Devant une foule nombreuse, l'association Hill/Gendebien devient l'équipe la plus victorieuse de l'histoire des 24 Heures, avec trois succès ensemble. Égalé depuis, ce record n'a jamais été battu.
C’en est fini avec le Cheval Cabré. Il désire toujours courir, c’est une certitude, mais malheureusement, ses belles années sont derrière lui. En F1, il signe avec ATS, des anciens de Ferrari, mais c’est un échec. Au Mans, pour 1963, il est débauché par Aston Martin, mais une boîte de vitesse récalcitrante fait baisser le rideau britannique après quatre heures de course seulement. Puis, un vieil ami se souvient de lui. Carroll Shelby monte un projet avec Ford, conté dans le film Le Mans 66. La GT40 est son prochain jouet, et l’expérience de Phil Hill pèse lourd, même si cela se traduit par deux abandons consécutifs au Mans en 1964 et 1965.
Dans le même temps, sa carrière en Formule 1 meurt à petit feu. Une année ratée chez Cooper laisse place à une saison blanche, pour un retour infructueux. Son épopée en monoplace se termine en 1966, au volant de la fameuse AAR Eagle-Climax, voiture issue de la collaboration entre Dan Gurney et Carroll Shelby.
PHOTO 1/3
La Ford GT40 Mk.I de 1964 n'était pas encore au point pour rivaliser avec les Ferrari.
Prototypes étranges et clap de fin
Le dernier chapitre de sa vie de pilote est singulier. Chaparral est une marque innovante au possible, créée par les pilotes américains Jim Hall et « Hap » Sharp en 1962. Des voitures entièrement blanches, avec le fameux chaparral bird dans le logo, comprenez le grand géocoucou en français – soit l’oiseau éternellement pourchassé dans Bip Bip et Coyote. Sous l’égide de General Motors, la marque se fait connaître jusqu’aux 24 Heures du Mans. En 1966, Phil Hill brille sur le modèle 2D, aux côtés de son ami Jo Bonnier. Un problème de batterie peu avant minuit met fin à la prometteuse expérience.
En 1967, il est de retour sur la 2F, dotée d’un énorme aileron arrière directement issu de l’industrie aéronautique. Si elle inspire le design des Formule 1 à l’époque, elle manque cruellement de fiabilité. Une fois de plus, Phil Hill abandonne les 24 Heures à cause d’une fuite d’huile. Après cette ultime participation, l’Américain décide de prendre une retraite méritée.
PHOTO 1/3
La Chaparral 2D se remarquait à des kilomètres, tout comme l'accent texan de l'équipe...
Bien sûr, impossible de s’étendre sur tout son palmarès tant il a écumé les pistes du globe, des 24 Heures de Daytona (remportées en 1964 avec le NART) jusqu’à l’oubliée Tasman Series, en passant par la course de côte de Pikes Peak. Il a également participé à la production du film Grand Prix (Frankenheimer, 1966) en tant qu’acteur et conseiller.
Toujours présent sur les pistes en démonstration, dans les médias ainsi que pour la carrière de son fils Derek, la maladie de Parkinson stoppe son élan passionné au début des années 2000.Phil Hill meurt en août 2008, à 81 ans, dans « sa » Californie d’adoption, lui, le natif de Miami. Il laisse une famille, un palmarès, mais aussi, un héritage quasi légendaire, quoique teinté d’amertume et d’ombre désirée.
"Je pense que le fait d’avoir couru contre lui rend ma carrière plus glorieuse "
Mario Andretti, champion du monde de Formule 1 1978
Le Mans, là où tout prend sens | Depuis 1923, les 24 Heures du Mans incarnent l’épreuve ultime de l’endurance automobile. Avec seulement 145 pilotes et 25 marques ayant déjà accédé à la plus haute marche du podium, cette course est l’équivalent de l’Everest pour les passionnés et acteurs du sport automobile. Chaque ...
En 2024, MissionH24, le programme en collaboration entre l'Automobile Club de l'Ouest et H24Project pour la promotion de l'hydrogène en Endurance, a multiplié de nombreuses expériences, certaines assez particulières.
Genesis, la marque haut de gamme du groupe Hyundai va s’engager dans la catégorie Hypercar des 24 Heures du Mans et du Championnat du monde d’endurance FIA WEC dès 2026. Ce programme ambitieux repose sur un partenariat stratégique avec IDEC Sport, écurie française reconnue pour son expertise dans la catégorie LMP2. ...
Le Mans, là où tout prend sens | Aux 24 Heures du Mans, l’ouïe joue un rôle central dans l’expérience des spectateurs. Les rugissements des moteurs marquent leur mémoire. À tel point que certaines voitures deviennent des icônes sonores.