Qui était Olivier Gendebien, l’amateur aux quatre victoires ?
On aimerait que les résultats soient toujours corrélés à la passion. À l’engagement que l’on peut mettre dans une tâche, voire, à notre travail acharné. Mais le talent, une notion très complexe, ne s’explique pas toujours, et aide grandement à accéder aux sommets. L’histoire d’Olivier Gendebien en est la preuve concrète, lui qui ne s’est jamais considéré comme un professionnel, mais qui pourtant, s’est forgé un palmarès que beaucoup de grands pilotes envient.
D’un cheval à l’autre
Souvent, ces contes commencent de la même manière : un jeune homme travaille avec son père dans un garage, puis se prend de passion pour les voitures. Plus tard, il décroche complètement des cours qui ne l’intéressent pas, pour se consacrer à l’apprentissage de la science du pilotage. Pour Olivier Gendebien, c’est tout à fait différent. Né d’une riche famille belge en 1924, il ne s’intéresse pas particulièrement à l’automobile, pas plus qu’à ses autres hobbies en tout cas. À la fin de la Seconde Guerre mondiale – à laquelle il participe activement, il vit au Congo belge pendant quatre ans. Gendebien est alors ingénieur agronome, loin des circuits.
Là-bas, en Afrique, il fait la rencontre d’un certain Charles Fraikin. Les deux sympathisent, et se mettent en tête de participer au rallye Liège-Rome-Liège, mais dans un avenir lointain. De retour en Belgique, il s’intéresse de plus en plus à cette discipline, souvent avec son ami Fraikin. Cela l’attire, mais pas plus que les chevaux, sa véritable passion, le ski ou le tennis. Toujours est-il qu’au départ du Grand Prix des Frontières 1952, à Chimay, Olivier Gendebien est une révélation.
Sa réputation ne fait que grandir au fil des épreuves dans lesquelles il s’illustre. Pourtant, à 28 ans, il s’essaye aux circuits après des expériences concluantes en rallye. Sur les pistes asphaltées, il est toujours aussi rapide. L’endurance lui plaît beaucoup ; en 1955, il est déjà au départ de ses premières 24 Heures du Mans sur une Porsche 550 RS 1500 de l’Écurie Nationale Belge, aux côtés de Wolfgang Seidel. Les voilà deuxièmes de leur catégorie et cinquièmes du classement général ! Décidément, cette carrière commence tardivement, certes, mais sur les chapeaux de roue.
Gendebien partage le volant avec Wolfgang Seidel, un monstre de l'endurance allemand. Accessoirement, un futur vainqueur de la Targa Florio.
Après une énième bonne performance en Italie, il est signé par Enzo Ferrari lui-même. Maranello se décide à recruter Gendebien afin de le faire courir en Formule 1, mais surtout, à lui attribuer de grandes responsabilités en endurance. Immédiatement, son association avec l’Américain Phil Hill aux 1000 km de Buenos Aires fonctionne. Les deux s’entendent sur la philosophie à adopter lors d’une épreuve de ce type. À savoir, rouler à son rythme, sans en faire de trop, afin de voir l’arrivée en bonne position.
Lieutenant d’Enzo Ferrari
Très rapidement, Gendebien devient une référence absolue au sein de la Scuderia Ferrari. Aux 24 Heures 1956, le Belge et Maurice Trintignant terminent troisièmes à l’issue d’une course à élimination. En 1957, toujours avec Trintignant, un piston cassé met fin à leur épreuve.
Enzo Ferrari compte sur lui. Phil Hill lui est associé aux 24 Heures du Mans 1958. La pluie diluvienne s’abat sur le circuit pendant 15 heures, mais cela n’empêche pas le duo de se révéler, et d’aller chercher une première victoire ensemble. Les Jaguar Type D n’y peuvent rien : la Ferrari 250 TR 58 et son moteur V12 est juste trop forte.
En 1959, c’est beaucoup plus compliqué. Stirling Moss, pour Aston Martin, part comme un boulet de canon. Derrière, les concurrents peinent à suivre, dont la Ferrari 250 TR 59 de Gendebien/Hill, de nouveau appairés. Elle tient la dragée haute aux Anglaises, mais doit abandonner à la 20e heure en raison d’un moteur bien trop chaud.
"Il conduit sans heurt, il veille sur sa voiture et on peut compter sur lui pour tourner avec une précision d'horloge dans toutes les épreuves qui exigent de la régularité"
Enzo Ferrari
Nouvelle année, nouveau chef-d’œuvre. Avec son compatriote Paul Frère, Olivier Gendebien parvient à maîtriser la très délicate Ferrari TR59/60, et dominer une course bien difficile pour les autres voitures frappées du Cheval Cabré. Une victoire splendide, acquise avec quatre tours d’avance sur sa plus proche poursuivante.
Gendebien est un bon pilote en monoplace également, mais se retrouve cantonné à l’endurance. Non content de sa situation, il quitte la Scuderia pour rejoindre une Cooper-Climax privée en Formule 1, et ça marche. À son volant, il termine troisième du Grand Prix de Belgique 1960, et deuxième du Grand Prix de France alors disputé à Reims.
Cependant, le Belge et Ferrari se retrouvent face à un problème. Il y a Le Mans à gagner, et l’un a besoin de l’autre. Les deux parties remettent le couvert pour la saison 1961, accessoirement sa dernière en Formule 1.
Olivier Gendebien, ici à droite de la photo, lors des 24 Heures 1961.
L’homme de la situation
Le départ des 24 Heures du Mans 1961 est donné, avec Phil Hill et Olivier Gendebien sur la même voiture. La vitesse folle tenue par les premiers force les concurrents à sortir le grand jeu. À mesure que les voitures de tête lâchent en raison du rythme effréné, deux Ferrari émergent. L’une est l’officielle emmenée par le duo américano-belge, et l’autre, une privée du NART (North American Racing Team), pilotée par les frères mexicains Pedro et Ricardo Rodríguez. Les deux parties offrent un grand duel au public manceau, jusqu’à ce que la Ferrari des hermanos casse, mécaniquement. C’est une nouvelle victoire pour les deux hommes, et la troisième de Gendebien déjà.
On ne change pas une équipe qui gagne. Les deux remettent le couvert en 1962, sur la monstrueuse 330 TRI/LM. Son V12 de quatre litres est unique sur le plateau. Ses performances sont hallucinantes. Sur une seule boucle, les Maserati et autres Aston Martin sont reléguées à plusieurs secondes. Une course rondement menée, seulement disputée par les frères Rodríguez jusqu’au petit matin, lui offre une quatrième victoire dans la Sarthe. Un nouveau record à l’époque.
Cependant, lors de cette édition, il manque de percuter un retardataire au Tertre Rouge. C’est beaucoup pour quelqu’un qui ne s’est jamais considéré comme un professionnel. Olivier Gendebien, nouveau recordman surprise, prend sa retraite peu après – aussi sur ordre de sa femme.
Il n’a sans doute jamais été le plus rapide, le plus incisif au volant, mais son palmarès en fait l’un des meilleurs pilotes de l’histoire du championnat du monde des voitures de sport. Avec la Scuderia Ferrari, il a également triomphé de deux éditions des 12 Heures de Sebring (1959, 1961), sans compter sa victoire sur Porsche en 1960, lorsqu’il cherchait de nouveaux horizons.
Riche de lui même, il vit dans le Sud de la France jusqu’à sa mort en 1998, non sans recevoir l’Ordre de la Couronne belge en cette même année. Avec lui a disparu tout un pan de l’histoire de l’automobile, une époque révolue, portée sur les valeurs et la conduite, au-delà du pilotage. L’artiste Olivier Gendebien n’était peut-être pas passionné comme d’autres, mais l’expression de son talent n’en était certainement pas moins belle.
La victoire de 1962 est aussi la troisième de la paire Hill/Gendebien, un record égalé depuis mais jamais battu pour un équipage.
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