Pourquoi les 24 Heures du Mans se courent-elles sur des routes publiques ?
C’est l’une des particularités des 24 Heures du Mans. Depuis un siècle, les concurrents écrivent l’histoire sur des routes communes, que tout le monde peut emprunter le restant de l’année. Le circuit, éphémère par nature, n’existe que quelques jours ; juste le temps de célébrer son champion. Mais au fait, pourquoi ?
Aux origines de la course
Pour répondre à cette question, il faut remonter dans le temps. En 1906, les fondateurs de l’Automobile Club de l’Ouest (ACO) sont chargés d’organiser le premier Grand Prix de France automobile sur un long circuit empruntant les routes sarthoises, à l’Est du Mans. Devant le succès de cette formule, les mêmes hommes obtiennent de nouveau les droits du GP de France en 1911, mais cette fois, le tracé n’est plus le même.
Georges Durand, secrétaire général de l’ACO depuis sa création, désire orienter les concurrents vers le Sud de la ville, en empruntant, notamment, une immense ligne droite reliant les faubourgs du Mans à Mulsanne, une petite bourgade. Pourquoi ? Car en 1908, les frères Wright, pionniers de l’aviation, sont venus tester leur Flyer sur ce même lieu. Ce qui, par la suite, deviendra la mythique ligne droite des Hunaudières revêt déjà d’un grand intérêt innovant. Une telle section permet de mettre les voitures à rude épreuve, l’un des objectifs des fondateurs de l’ACO.
D'un héritage gallo-romain, la ligne droite des Hunaudières était utilisée depuis 1884 pour des essais. Ici en 1925.
De fil en aiguille, Le Mans s’inscrit durablement sur la scène automobile française. Jusqu’à la création du fameux Grand Prix d’Endurance de 24 Heures en 1923, sur un circuit d’à peine plus de 17 km, et qui emprunte toujours les Hunaudières jusqu’à Mulsanne avant de remonter sur Arnage.
Une philosophie innovante
Ceci n’explique pas pourquoi les 24 Heures ont continué de se dérouler sur de telles routes d’année en année. Car si les tracés similaires étaient encore populaires à la fin des années 1910, une multitude de circuits permanents voient le jour au cours de la décennie suivante. Monza sort de terre en 1922, Montlhéry en 1924, alors que le Nürburgring ouvre en 1927. Mais Le Mans, lui, reste sur des routes standard.
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Ici, une SARA ATS sort de l'épingle de Pontlieue, un quartier du Sud du Mans, lors du Grand Prix d'Endurance de 24 Heures 1924. À l'époque, les voitures venaient jusqu'en ville.
La raison est simple. Depuis la naissance de l’épreuve, l’ACO vise à aider l’usager, que ce soit en poussant les constructeurs à innover puis à venir essayer leurs trouvailles en course, mais également, en militant pour de meilleures routes. À la sortie de la Première Guerre mondiale, une bonne partie du réseau français était détruit. Les voies parfois inutilisables incarnaient un véritable problème de société que personne n’osait regarder en face, pas même les autorités. Ainsi, Georges Durand et Charles Faroux, deux des fondateurs des 24 Heures du Mans, s’attellent à la tâche.
La route, pendant le Grand Prix d’Endurance, devient un enjeu primordial. En 1923, pour la première édition, les voitures de série peinent à s’affranchir des nombreux cailloux volants, de la boue qui tache tout. En 1924 et 1925, l’ACO annonce un rapprochement avec les ponts et chaussées et renforce le revêtement sur la ligne droite des Hunaudières, lieu déjà emblématique.
Ici la ligne droite des stands en 1923, en mauvais état. Les conditions météorologiques difficiles de cette première édition détériorent considérablement la "route", qui s'apparente alors à une piste.
La route dans la course
Un circuit permanent est sans doute plus facile à entretenir, mais il ne sert pas l’automobiliste. En 1925, Georges Durand monte à la tribune ; il utilise son poids politique important pour faire savoir son désaccord avec l’État concernant la réfection des routes nationales françaises. Les 24 Heures du Mans ne peuvent plus faire machine arrière. Lui et Charles Faroux, entre autres, jouent sur la légitimité du double tour d’horloge pour se faire entendre.
En 1926, l’ACO passe dans une nouvelle dimension. Cette fois, la route dispute les 24 Heures du Mans comme tous les autres concurrents. Trois revêtements différents sont apposés le long du tracé. Le but est simple ; inspecter, après la course, et déterminer lequel a le mieux résisté à l’inlassable passage des voitures. Pour, ensuite, avoir plus qu’un argument, mais une proposition à faire au gouvernement. Les Hunaudières sont devenues, en quelques années, un haut lieu d’innovation en matière de revêtements. Sa réputation de laboratoire ne cesse de croître.
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Le "tournoi de la route", instauré en 1926 et poursuivi en 1927 et 1928, était d'une importance capitale. Différentes sections des Hunaudières, notamment - un axe beaucoup plus emprunté que les autres, recevaient des traitements différents.
Bien sûr, devant le succès de l’épreuve, certaines sections doivent être exclusivement réservées aux coureurs. En 1932, l’ACO présente, en grande pompe, un tout nouveau bout de piste. Auparavant, les pilotes s’en allaient en direction de l’épingle de Pontlieue, dans la ville du Mans, avant de repiquer au Sud vers Mulsanne par les Hunaudières. Désormais, il faut tourner à droite après le départ, enchaîner avec une partie sinueuse puis un virage rattrapant la ligne droite ; aujourd’hui, il s’agit de la courbe Dunlop, du "S" de la forêt et du Tertre Rouge. L’organisateur porte une grande attention au revêtement de cette nouvelle partie. Immédiatement, c’est un grand succès.
"J’ai eu, pour la première fois, la sensation que ma voiture s’accrochait à la chaussée, sans dérapage possible."
Raymond Sommer, vainqueur des 24 Heures du Mans en 1932 et 1933.
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En 1933, la ligne droite des Hunaudières est la première route de France à se doter d'une bande centrale.
Un marqueur fort
Au cours de la décennie 1930, l’ACO travaille de concert avec les ponts et chaussées et les services vicinaux. Au fur et à mesure des nouvelles trouvailles, le réseau français reprend forme. Après la Seconde Guerre mondiale, le circuit renaît de ses cendres avec, toujours, sa partie routière emblématique. La proportion de routes publiques sur le tracé entier s’amenuise au fil du temps pour des raisons de sécurité, mais de nos jours encore, il est possible d’emprunter le Circuit des 24 Heures du Mans et notamment la ligne droite des Hunaudières – en respectant les limitations de vitesse, bien entendu. Ces routes sont des marqueurs forts, qui distinguent la classique mancelle de toutes les autres épreuves de premier plan.
Une singularité qui, constamment, rappelle l’audace et l’innovation incarnée par l’Automobile Club de l’Ouest depuis plus de cent ans.
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Les sections routières des 24 Heures sont très bien entretenues, et les endroits clés - freinage de Mulsanne, virage d'Arnage - ne sont plus accessibles aux automobilistes.
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