Autant dire que Jean Guichet aura connu l'âge d'or sarthois du Cheval Cabré. Lorsqu'il pilote pour la première fois une Ferrari au Mans en 1961, le double tour d'horloge sarthois était donc en quelque sorte le "jardin privé" du constructeur italien, qui enchaîne de 1960 à 1965 une spectaculaire série de six victoires consécutives.

Pendant cette période, la "galaxie Ferrari" des 24 Heures du Mans ne manquait pas de fortes personnalités. Enzo Ferrari lui-même bien sûr, ses importateurs Luigi Chinetti et Jacques Swaters, son directeur sportif Eugenio Dragoni, et bien sûr des pilotes de grand talent : Phil Hill, Olivier Gendebien, les frères Pedro et Ricardo Rodriguez, Willy Mairesse, Lorenzo Bandini, Ludovico Scarfiotti, Wolfgang von Trips, John Surtees, Giancarlo Baghetti, Jochen Rindt, Masten Gregory, Richie Ginther, Herbert Müller...

Parmi eux, Jean Guichet, patron d'un chantier naval la semaine et pilote le week-end, détonne par ce profil atypique et son beau coup de volant. Mieux encore, à l'issue de son premier départ sarthois au volant d'une Ferrari, il termine sur la troisième marche du podium en compagnie de Pierre Noblet. L'année suivante, en 1962, ce duo termine deuxième derrière Olivier Gendebien, nouveau recordman des victoires avec quatre succès, et son équipier américain Phil Hill. Mais le meilleur est encore à venir...

En 1964, le duo qu'il forme avec Nino Vaccarella est pour le moins surprenant. Pilote de belle réputation, ce dernier est aussi... professeur de mathématiques à Palerme ! Dès la fin de la deuxième heure de course, le Marseillais et le Sicilien sont en troisième position, avant de prendre la tête à plusieurs reprises pendant la nuit à la faveur des ennuis de l'autre Ferrari des leaders John Surtees-Lorenzo Bandini.

Guichet et Vaccarella s'installent définitivement en tête à la mi-course, qu'ils remportent avec cinq tours d'avance sur une autre Ferrari, pilotée par Graham Hill et Jo Bonnier. Le rythme soutenu de Guichet et Vaccarella (ce dernier tournait dans les temps de John Surtees, auteur du meilleur tour en course) leur vaut même d'établir un nouveau record de la distance, frôlant avec 4 965 km parcourus la barrière mythique des 5000 km. Celle-ci sera franchie en 1967 par la Ford de Dan Gurney et AJ Foyt, à l'issue de ce qu'on a baptisé la course du siècle... qui sera aussi la dernière participation mancelle de Jean Guichet au volant d'une Ferrari.

Par la suite, il disputera encore les 24 Heures du Mans à trois reprises. En 1969, au volant d'une Matra, il reçoit son dernier drapeau à damier sarthois en cinquième position, associé à... Nino Vaccarella, son coéquipier de 1964. Un sympathique clin d'oeil de l'histoire pour une carrière parmi les plus singulières du sport automobile français.

 

Photo : En 1962, Jean Guichet et Pierre Noblet terminent deuxièmes des 24 Heures du Mans au volant de la mythique Ferrari GTO, dont la trentaine d'exemplaires encore en circulation aujourd'hui figurent parmi les voitures de collection les plus chères au monde.