Le 19 juin 1966, Jean-Marie Lelièvre, Président de l’Automobile Club de l’Ouest, organisateur de la plus grande course d’endurance au monde depuis 1923, remit avec une émotion particulière les trophées aux vainqueurs des 24 Heures du Mans. Cette édition 1966 avait en effet été extraordinaire. Non seulement elle marquait le triomphe de Ford comme la fin de la suprématie de Ferrari dans la Sarthe - avec des records de vitesse à la clef -, mais elle livrait aussi une arrivée de légende qui, aujourd’hui encore, suscite de nombreuses interrogations, anime de multiples débats. Pourquoi ? Parce que Ford a voulu entériner son succès, son premier aux 24 Heures du Mans, avec un regroupement triomphal, avec un scénario exceptionnel...
Que s’est-il passé en 1966 ? Voici le contexte, les faits, les statistiques issus du patrimoine de l’ACO. L’interprétation, la légende sont infinies.
LE REGLEMENT DES 24 HEURES DU MANS 1966
Conçu et édité par l’Association sportive de l’Automobile Club de l’Ouest, le règlement général (ou règlement sportif) définit précisément l’ensemble des règles inhérentes à l’organisation de la course des 24 Heures du Mans. Il est complété par un règlement technique qui définit les caractéristiques des voitures aptes à prendre le départ. Ce document officiel est adressé à l’ensemble des concurrents. En janvier 1966, Ford en reçoit 6 exemplaires.
Le règlement général consacre un chapitre aux classements et aux qualifications. L’article 23 définit le classement général à la distance et donc le vainqueur de la course. Est déclarée « victorieuse » la voiture qui a parcouru la plus grande distance à l’issue de la 24e heure. L’alinéa 3-1 précise que la distance sera établie sur la base du nombre de tours effectués avant la fin des 24 Heures avec, s’il y a lieu, une correction relative à la position de la voiture sur la grille de départ.
Le document officiel publié à l’issue de la course donne le résultat suivant :
- Est déclarée gagnante la Ford N°2, pilotée par McLaren et Amon, avec 359 tours couverts et une distance de 4843,090 km à la moyenne horaire de 201, 796.
- Est déclarée seconde la Ford N°1 pilotée par Miles et Hulme avec 359 tours couverts et une distance de 4843,070 km à la moyenne horaire de 201,795.
UNE ARRIVEE QUI FAIT DATE
Avec 20 mètres d’écart, c’est l’arrivée la plus serrée de l’histoire des 24 Heures du Mans. Les données du chronométrage (tour par tour) indiquent clairement un écart d’une demi seconde entre la Ford N°2 et la Ford N°1 sur la ligne d’arrivée, soit 6 mètres. Conformément aux dispositions du règlement en cas d’arrivée de deux voitures dans le même tour et regroupées, il est aussi tenu compte de la position des voitures sur la grille de départ : la Ford N°1, partie en 2e position, et la Ford N°2, partie en 4e position, étaient séparées de 14,28 mètres, qui ajoutés aux 6 mètres à l’arrivée, donne une différence de 20 mètres.
A l’arrivée, les nombreuses photos d’époque et les films officiels, la grande variété des angles de prises de vue disponibles montrent clairement la position des voitures lors du franchissement de la ligne d’arrivée : la Ford N°2 l’a intégralement franchie avant que la N°1 ne le fasse.
Pourquoi cette arrivée au finish ? Parce que le management de Ford avait décidé de regrouper ses 3 voitures pour l’arrivée, afin d’ancrer dans les mémoires son écrasante victoire sur Ferrari. Cette décision implique de tenter de terminer ex aequo pour les deux voitures de tête qui roulent dans le même tour. La N°5, 3e, est distancée, à 11 tours.
La Ford N°1 est en tête à l’amorce de la dernière heure de course. Ken Miles prend le volant au 347e tour. Il possède 34 secondes d’avance sur la N°2 (qui a déjà ravitaillé et n’a plus besoin de s’arrêter), il tourne en 4 minutes au tour, appliquant les consignes données par Carroll Shelby. La N°2 tourne elle en 3 minutes 54 secondes, parfois moins. Les deux voitures se retrouvent donc ensemble dès le tour 351, cela restera ainsi jusqu’à l’arrivée. Mais avec quel ordre ?
L’histoire raconte que le speaker de la course (qui n’avait pas une position de vue idéale sur la ligne d’arrivée) aurait annoncé par erreur la N°1 gagnante, entraînant sur l’instant une confusion. Pour Fabrice Bourrigaud, Directeur du Patrimoine et du musée des 24 Heures : « Tenter de faire franchir la ligne d’arrivée au même niveau par deux voitures est quasiment impossible. Il faut se rappeler que la course se termine sous la pluie. La visibilité est donc très moyenne, avec un plafond très bas. La ligne d’arrivée ne mesure que quelques centimètres d’épaisseur. Les pilotes sont installés à ras du sol dans un baquet avec un champ de vision qui n’est pas évident pour réaliser un tel exercice. La N°1 attaque légèrement en avance la dernière ligne droite. Miles lève-t-il le pied pour attendre McLaren ? McLaren accélère-til de son côté pour combler l’écart ? Cela va-t-il engendrer le dépassement de la N°1 par la N°2 ? Est-ce délibéré pour gagner seul ?
Toujours est-il qu’à l’examen du déroulé de course, Miles et Hulme comptaient 34 secondes d’avance réelle à l’amorce de la dernière heure de course, une avance difficile à compenser à la régulière pour les suivants. Quant à la N°2, qui était dans le même tour que la N°1, elle avait occupé la tête de la course durant 4 heures. A l’arrivée, les pilotes, ces professionnels ont appliqué les consignes de leur employeur et les officiels ont appliqué le règlement. »
Pour revivre au Musée des 24 Heures, cette édition si particulière et découvrir les coulisses du film Le Mans 66, de James Mangold, avec Christian Bale et Matt Damon, dont la sortie en France est programmée le 13 novembre, pour plus de détails.