Jean Guichet (*), quels souvenirs gardez-vous du Mans 66 ? Dans quel contexte vous engagiez-vous, avec l'équipe Ferrari ?
« En 1966 j’étais pilote officiel de Ferrari. J’ai fait la saison soit avec le proto Dino 206P soit avec la 330 P3. En effet, la saison 66 était marquée à la fois par le duel Porsche 906 – Ferrari Dino 206P pour la catégorie 2L et par celui des Ford GT40 – Ferrari 330 P3. Pour les 24 Heures du Mans 66 je disposais, avec Lorenzo Bandini, d’une des deux Ferrari 330 P3 engagées par l’usine. »
Comment ressentiez-vous le duel Ferrari-Ford ?
« Le duel avait en fait commencé en 1963 en GT avec les AC Cobra Ford au Mans et les Ferrari 250 GTO. La GTO qui était une voiture extraordinaire, rapide et robuste, a permis à Ferrari de gagner le championnat de monde. En 1964, les Cobra Daytona Ford « fermées » sont sorties, toujours moteur avant, elles étaient beaucoup plus rapides, mais là encore, les Ferrari ont pris le dessus (au championnat du monde). En 1963-64, Ferrari avait lancé une nouvelle génération de proto à moteur arrière, la série P, Ford a suivi l’année d’après avec la GT40 à moteur arrière.
C’est donc dans ce contexte que j’ai vu arriver les Ford GT40 au Mans en 1964, les voitures étaient rapides mais manquaient encore de fiabilité.
Cette année-là, je remportais la course avec mon équipier Nino Vaccarella. En 1965, je disposais avec Mike Parkes d’une Ferrari P2.
Les Ford avaient fait le meilleur temps aux essais et disposaient du moteur 7L, mais les P2 étaient très rapides, Mike et moi avons passé la majorité de la course en tête. Malheureusement notre boite de vitesse n’a pas résisté et nous avons abandonné à la 23ème heure laissant la victoire à la Ferrari LM.
En 1966, Ford avait aligné de très nombreuses Ford GT40, il en y avait 13 au départ !! Et nous avions pu constater lors des courses précédentes qu’elles étaient devenues fiables. Au Mans en 1966, il y avait seulement trois Ferrari 330 P3, deux officielles et une de l’écurie Nart. Ma voiture, un prototype 330 P3 de l’usine de 4L de cylindrée, portait le numéro 21. Les Ferrari ont cassé et les Ford ont terminé aux trois premières places. Mais il n’est pas possible d’évoquer le triplé Ford au Mans sans évoquer le triplé Ferrari à Daytona en 1967.
En effet, la course de 24 heures qui suivait les 24 Heures du Mans, était celle des 24 heures de Daytona. Cette course se passait donc aux USA, le berceau des Ford. Les Ferrari ont terminé aux trois premières places, Pedro Rodriguez et moi avons terminé 3ème. Avant l’arrivée, la direction de Ferrari nous a donné instruction de regrouper les trois voitures de tête pour passer la ligne d’arrivée ensemble, ce qui a été fait. A l’époque, cela représentait la réponse apportée à Ford, et je pense le pic du duel Ford-Ferrari. »
Avec quels pilotes échangiez-vous à cette époque ?
« A cette époque, mes équipiers chez Ferrari étaient le plus souvent Mikes Parkes, Pedro Rodriguez, Nino Vaccarella, Lorenzo Bandini, Giancarlo Baghetti. »
Quels étaient vos rapports avec l'équipe Ford ?
« A cette période, je n’en n’avais pas particulièrement. Début 1963, j’avais été engagé par Ford, pour piloter une Cobra Ford à Daytona avec Jo Schlesser, à la suite de cela Ferrari m’a engagé pour être pilote d’usine officiel. Je suis resté chez Ferrari de 1963 à 1967. »
Pouvez-vous décrire l'organigramme de l'écurie Ferrari?
« Le directeur de sportif était Dragoni, il recevait les instructions directement de M. Ferrari, et le directeur technique Forghieri, il était notre interlocuteur technique. »
Comment s'est déroulée la course pour vous ?
« Je me souviens d’avoir eu des inquiétudes sur la transmission de la P3 et je savais que les Ford, qui avaient fait le meilleur temps aux essais, partiraient très vite, d’autant plus qu’elles étaient très nombreuses et que certaines risquaient de partir en sprint afin de tenter d’épuiser les Ferrari. Aussi, pour terminer la course, j’ai pensé qu’il valait mieux préserver la voiture en début de course. Après quatre tours, j’occupais la 5e place, mais à partir de la sixième heure, la voiture a commencé à cumuler les problèmes. Nous avons été la dernière des Ferrari P3 en piste, mais à la 17ème heure nous avons dû abandonner. »
Aviez-vous été étonné du rythme des Ford ?
« Je n’étais pas étonné par leur rythme car je les avais côtoyées dans les courses précédentes, en revanche je l’étais plus par leur nombre ! De plus, à cette époque au Mans, les voitures qui partaient en tête n’étaient pas forcément celles qui terminaient. »
(*) Jean Guichet compte 13 participations aux 24 Heures du Mans, dont une victoire en 1964. Il a gagné aussi le Tour Auto.
LE MANS 66 S' EXPOSE AU MUSEE DES 24 HEURES DU MANS
Jusqu'au 23 février 2020, le Musée des 24 Heures organise une exposition temporaire consacrée au Mans 66, le film et la course, ou comment découvrir ou redécouvrir les coulisses de l'édition 1966 et celles du film de James Mangold.
Pour plus d'informations: Musée des 24 Heures