Après deux abandons à l'issue de ses premières 24 Heures du Mans en 1966 et 1967, la popularité d'Henri Pescarolo monte en flèche à partir de 1968 : détermination inébranlable, exploits en piste, et aussi franc-parler proverbial qui fait encore aujourd'hui le régal des journalistes qui l'invitent comme consultant télé ou le sollicitent pour une conversation au long cours...
Les 24 Heures du Mans 1968 sont une étape cruciale pour lui. Au volant de la seule Matra engagée par le constructeur français cette année-là, Henri Pescarolo est associé à l'espoir Johnny Servoz-Gavin. En course, ce dernier s'arrête dès le premier tour, victime d'une panne d'essuie-glace alors que la pluie tombe dru sur le circuit des 24 Heures. Puis la piste sèche et la Matra remonte en deuxième position, derrière les futurs vainqueurs Pedro Rodriguez-Lucien Bianchi (Ford GT40). Et la pluie se remet à tomber durant la nuit... Servoz-Gavin qui est au volant à ce moment-là rentre au stand... car l'essuie-glace refuse toujours de faire son oeuvre !
Le patron de l'écurie, Jean-Luc Lagardère, réveille Henri Pescarolo, dont le sang ne fait qu'un tour : "Nous avions énormément travaillé sur la voiture, la première à disposer d'un moteur conçu par Matra, qui remplaçait le bloc BRM de 1966 et 1967. En 1968, nous disposions enfin d'une voiture nous permettant de jouer les premiers rôles. Je trouvais vraiment stupide d'abandonner sur un problème d'essuie-glace. Lorsque Jean-Luc Lagardère m'a demandé si je souhaitais rouler quand même, je n'ai pas hésité une seconde !"
Les conditions météo sont épouvantables, et le récit "de l'intérieur" qu'en donne Henri Pescarolo aujourd'hui donne la mesure de l'exploit : "Je suis parti en me disant que chaque tour pouvait être le dernier, parce qu'il paraissait impossible de conduire dans ces conditions. Lorsque je rattrapais une voiture, je voyais vaguement ses feux arrière rouges dans les projections d'eau et j'étais incapable de me rendre compte si elle allait à droite, à gauche ou au milieu. Si je me trompais de côté pour la doubler, je me retrouvais dans l'herbe détrempée par la pluie, puis dans les arbres !"
Cette chevauchée fantastique enflamme non seulement le public des 24 Heures 1968, mais aussi la France entière, qui la découvre à son réveil le dimanche matin à la radio : "Cette performance a été effectivement perçue comme exceptionnelle, mais mon but était de remettre la voiture là où elle devait être, c'est-à-dire en deuxième position," commente Henri Pescarolo. Mission accomplie également grâce à Johnny Servoz-Gavin, qui reprend le volant lorsque la pluie cesse enfin. Ce rêve de podium s'évanouit à trois heures de l'arrivée, lorsque Pescarolo s'arrête définitivement peu après le virage de Mulsanne, victime d'une crevaison qui a provoqué un début d'incendie. Mais peu importe le résultat : l'engouement populaire suscité par cette folle nuit a fait entrer dans la légende l'homme au casque vert !
L'année suivante, cette détermination s'exprime dans la douleur. Le 16 avril 1969, lors d'une séance d'essais privés, la Matra d'Henri Pescarolo s'envole dans la ligne droite des Hunaudières. Il parvient à s'échapper de sa voiture en flammes. Brûlé au visage et au corps, il souffre également de deux vertèbres fracturées, qui lui imposent un minimum de trois mois d'immobilité. Mais pour le pilote qui a bravé sans essuie-glace les intempéries des 24 Heures 1968, une telle situation est inconcevable. Comprenant qu'il ne pourra quitter l'hôpital que lorsqu'il marchera sans aide, il décide de braver l'interdiction des médecins.
Chaque nuit, il se lève de son lit, tombe parfois, se relève toujours, menant dans sa chambre d'hôpital, dans le plus grand secret, une sorte "d'auto-rééducation" aussi longue que douloureuse. Mais, grâce à sa volonté de fer, le pilote français progresse, lentement mais sûrement, et gagne en assurance au fil des semaines. Vient alors le premier test : médecins et infirmières pensent devoir soutenir un homme qui, croient-ils, va se mettre debout pour la première fois depuis plus de deux mois.. Ils voient, stupéfaits, Henri Pescarolo se lever et marcher sans aucune aide !
Après avoir commenté les 24 Heures 1969 depuis sa chambre d'hôpital, Henri Pescarolo retrouve la compétition le 1er août au Grand Prix d'Allemagne, sur le circuit du Nürburgring. Et les 24 Heures du Mans l'année suivante, pour une fidélité sans faille jusqu'en 2000 et même au-delà, lorsqu'il devient patron d'écurie. A suivre dans le prochain épisode de notre saga...
Retrouvez les épisodes précédents de cette saga :
Episode 1 - 1966-1967, la découverte