Ferrari VS Jaguar, l’incroyable histoire de la chasse du félin
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Ferrari VS Jaguar, l’incroyable histoire de la chasse du félin

Ferrari et Jaguar sont deux constructeurs historiques des 24 Heures du Mans. L’un compte dix victoires, l’autre, sept. Quand deux entités de pareille envergure se croisent sur la piste, cela ne peut offrir que du très grand spectacle. Retour en 1954, pour le récit d’une édition où le suspense étouffant n’avait d’égal que la beauté des voitures engagées.

Mastodontes

Elle fait sensation. Sur la route, les enfants détournent le regard pour l’admirer, bientôt imités par leurs parents ébahis. Au Mans, en ce mois de mai 1954, le public passionné découvre plus qu’une voiture, mais une icône. Le prototype Jaguar Type D vient d’arriver d’Angleterre, sans peinture, sortant à peine des ateliers, juste pour les 24 Heures. Étonnamment, elle se distingue de la Type C, sa prédécesseuse, alors que cette dernière avait fait très bonne impression lors de l’édition 1953. C’est elle qui embarquait les premiers freins à disque, une innovation majeure qui allait bientôt envahir le parc automobile mondial. Pourtant, Jaguar fait le choix de la nouveauté en présentant ce modèle aux lignes aérodynamiques sans pareil, et dotée d’un aileron de requin similaire à celui ornant les dernières Hypercar. D’une conception révolutionnaire, elle impressionne par ses lignes rondes longuement travaillées.

Si Jaguar construit un nouveau modèle (pas si nécessaire au vu des prouesses du précédent), ce n’est pas pour faire de la figuration. Au milieu des années 1950, l’opposition est féroce. On y trouve Cunningham, venu d’Amérique avec des prototypes audacieux, Maserati, l’ogre italien dominant en Formule 1, Aston Martin Lagonda et ses cinq DB3S d’usine, mais surtout, la Scuderia Ferrari. Peu importe le modèle, la simple présence du Cheval Cabré suffit à faire suer les directeurs d’équipe les plus chevronnés. En plus de cela, la voiture employée par la firme de Maranello est redoutable, quoique moins originale dans son élaboration. La 375 Plus ne se démarque pas par son design singulier, mais par son cœur. À l’intérieur, un nouveau V12 Lampredi de près de 5.0 l, développant 340 chevaux. Le six cylindres en ligne et les 250 chevaux de la Type D font pâle figure, mais l’aérodynamique pourrait combler le monstrueux écart de puissance.

  • La Type D, passée en soufflerie pour améliorer sa ligne, avait bénéficié d'une séance d'essais non officielle au mois de mai. Un avantage certain.
  • L'ambiance des premières heures, avec les hélicoptères dans le ciel. Pour la première fois, la course est retransmise en direct à la télévision, en France comme au Royaume-Uni grâce à la liaison Paris-Londres. C'est un véritable succès.
  • La Type D, passée en soufflerie pour améliorer sa ligne, avait bénéficié d'une séance d'essais non officielle au mois de mai. Un avantage certain.
  • L'ambiance des premières heures, avec les hélicoptères dans le ciel. Pour la première fois, la course est retransmise en direct à la télévision, en France comme au Royaume-Uni grâce à la liaison Paris-Londres. C'est un véritable succès.
  • La Type D, passée en soufflerie pour améliorer sa ligne, avait bénéficié d'une séance d'essais non officielle au mois de mai. Un avantage certain.
  • L'ambiance des premières heures, avec les hélicoptères dans le ciel. Pour la première fois, la course est retransmise en direct à la télévision, en France comme au Royaume-Uni grâce à la liaison Paris-Londres. C'est un véritable succès.
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La Type D, passée en soufflerie pour améliorer sa ligne, avait bénéficié d'une séance d'essais non officielle au mois de mai. Un avantage certain.

Dame Nature en arbitre

Le chrono ne ment jamais. Lors des essais officiels, il ne tarde pas à livrer son verdict, même si les qualifications n’existent pas encore ; l’ordre de départ est déterminé par la cylindrée des voitures. Briggs Cunningham, avec ses C4-R de 8,0 l est assuré de partir premier. Tant mieux pour lui, car les Jaguar et Ferrari sont largement supérieures au reste du plateau. Les trois Jaguar officielles réalisent le même temps, cinq secondes sous le record établi en 1953 par Alberto Ascari. Le Cavallino Rampante n’est pas loin, mais la 375 Plus ne se conduit pas aussi bien. Elle est loin d’être aussi efficace au freinage, et, comble de l’ingénierie, est plus lente de 20 km/h dans les Hunaudières, car moins fine que sa rivale. En revanche, sa puissance lui offre une accélération démentielle.

Au moment du départ, de grands nuages noirs s’élèvent dans les cieux manceaux. Alors que la voûte menace de grogner, voire, de s’effondrer, les pilotes les plus hâtifs rejoignent leur voiture en courant. Immédiatement, le trio de Ferrari officielles appuyé par deux autres 375MM privées s’envole en tête. La force brute gagne face à la finesse.

"L’aérodynamique est pour ceux qui ne savent pas construire des moteurs."
Enzo Ferrari en 1960

Après cinq tours à haute intensité, la pluie commence à s’abattre sur le circuit. L’avantage de puissance dont bénéficie Ferrari est réduit à néant. Jaguar reste au contact. À la fin de la première heure, Italiens comme Britanniques possèdent un tour d’avance sur le reste du plateau. Le duel annoncé prend vie, arbitré par la météo capricieuse. Il est de coutume de dire que le mouillé souligne le talent des pilotes. Au volant de la Jaguar Type D #12, Sir Stirling Moss, l’un des plus grands de son temps, fait preuve de sa maestria. Il parvient même à se hisser en tête. Mais quelque chose cloche sur sa voiture ; et d’ailleurs, les autres Jaguar connaissent aussi d’étranges ralentissements depuis l’entame. Les Type D ont des ratés, et doivent passer par la voie des stands.

À l'époque, les stands ne sont pas séparés de la piste par un mur !
À l'époque, les stands ne sont pas séparés de la piste par un mur !

En réalité, elles subissent toutes le même sort. La présence de sable fin dans le carburant fourni bloque les filtres à essence des belles anglaises. Ken Wharton, sur la Jaguar #15, et Peter Walker, coéquipier de Moss sur la #12, perdent un temps fou. Arrêtés dans les stands, ils ne peuvent rien faire à part écouter le speaker annoncer les accidents successifs de pilotes piégés par la piste glissante.

Une nuit d’enfer

Une fois réparées et reconditionnées, les trois Type D repartent à l’assaut. Devant trône l’imposant José Froilán González dans sa Ferrari 375 Plus #4. Surnommé le « taureau de la Pampa », cet Argentin au physique plus proche du lutteur que du jockey fut le premier à décrocher une victoire en Formule 1 pour le compte de la Scuderia Ferrari, trois ans plus tôt. Une fois la nuit tombée, il passe le volant à son coéquipier, le Français Maurice Trintignant, « le Pétoulet ». Lui a une histoire plus difficile. En 1948, il passa à deux doigts de la mort en Suisse après un accident de voiture, mais parvint à revenir au plus haut niveau malgré une énorme balafre sur le ventre.

La Type D #15 de Ken Wharton et Peter Whitehead est toujours dans le match, mais à deux tours de la paire franco-argentine. Derrière suivent les autres Ferrari et Jaguar, aucune ne lâche prise… jusqu’à 23 heures. La 375 Plus #3 emmenée par Umberto Maglioli et Paolo Marzotto, déjà en retrait par rapport aux deux autres, casse sa boîte de vitesses. Deux heures plus tard, Sir Stirling Moss se retrouve sans freins dans les Hunaudières à 250 km/h. À la force du frein moteur et du frein à main, il parvient à s’arrêter dans l’échappatoire. Il est sain et sauf, mais sa course est terminée.

Enzo Ferrari n'avait pu aligner ses meilleurs pilotes. Alberto Ascari était désormais chez Lancia, Giuseppe Farina, blessé, et Mike Hawthorn en pause en raison du décès de son père. Gonzalez et Trintignant ont relevé le défi avec brio.
Enzo Ferrari n'avait pu aligner ses meilleurs pilotes. Alberto Ascari était désormais chez Lancia, Giuseppe Farina, blessé, et Mike Hawthorn en pause en raison du décès de son père. Gonzalez et Trintignant ont relevé le défi avec brio.

Un partout. Lofty England, directeur de l’équipe Jaguar, n’est pas au bout de ses peines. Incrédule, il assiste au retour au stand de la Type D #15, alors la mieux placée. Encore ces satanés filtres à essence. Elle repart, puis revient, et ainsi de suite. Finalement, c’est la boîte de vitesses qui fait défaut à Peter Whitehead et Ken Wharton, sur les coups de trois heures du matin. La pluie, incessante, sape le moral des coureurs. Au petit matin, une mauvaise surprise réveille les tifosi de France et d’Angleterre, qui peuvent suivre la course en direct à la télévision pour la première fois. Louis Rosier et Robert Manzon, sur la Ferrari #5, sont trahis par leur boîte de vitesses – eux aussi. Alors que les fraîches lueurs du matin peinent à réveiller les spectateurs engourdis par la pluie, le duel pour la gloire n’oppose plus que deux voitures. D’un côté, la 375 Plus #4, et de l’autre, la Jaguar #14.

De l’eau jusqu’aux genoux

Cette dernière Type D est pilotée par Duncan Hamilton, un excellent pilote anglais au style excentrique. Avec son imposant gabarit et ses anecdotes de la Seconde Guerre mondiale durant laquelle il a combattu, c’est un incontournable dans les paddocks. Mais par-dessus tout, c’est un as, l’un des meilleurs en sport-prototypes au cours des fifties. Il partage son destin avec un compatriote ; ‘Tony’ Rolt, un ancien soldat de l’armée britannique aussi connu pour ses prouesses au volant que pour ses sept évasions de camps de prisonniers allemands entre 1940 et 1943. Les deux larrons avaient d’ailleurs remporté les 24 Heures 1953 ensemble.

Distancé, mais pas déshonoré. Briggs Cunningham et ses énormes C-4R à moteur Chrysler place la Cunningham #2 sur la troisième marche du podium. Elle est emmenée "Bill" Spear et Sherwood Johnston.
Distancé, mais pas déshonoré. Briggs Cunningham et ses énormes C-4R à moteur Chrysler place la Cunningham #2 sur la troisième marche du podium. Elle est emmenée "Bill" Spear et Sherwood Johnston.

González et Trinitgnant ont deux tours d’avance au cours de la matinée, mais personne ne célèbre. Les nuages sont plus intimidants que jamais ; il ne faut pas plus de temps pour que les trombes d’eau ne reprennent de plus belle. Rolt et Hamilton pilotent à fond, sans arrière-pensée ; les lignes travaillées de leur Type D leur permettent d’être bien plus à l’aise que les rivaux sous le déluge. Les deux équipages se plient à l’âme du Mans et ses caprices ; difficultés pour redémarrer depuis les stands pour l’Italienne, et accrochage avec un retardataire pour l’Anglaise. L’écart est le même, mais les esprits se tendent à mesure que les minutes s’égrènent.

Dame Nature se calme, mais revient à l’offensive peu après midi ; une averse d’une intensité encore inédite frappe de plein fouet la capitale sarthoise. Le félin, bien plus agile que l’équidé, se rapproche inlassablement.

Final sous haute tension

Maurice Trintignant, au volant de la 375 Plus, est peut-être l’homme le moins serein de la planète à cet instant. Non seulement la menace grandit, mais en plus, il se bat avec un moteur qui toussote, qui titube, et qui sent plus l’abandon que l’huile chaude. Un défaut d’allumage lié à l’humidité ambiante empêche le V12 de libérer toute sa puissance. Dans ces moments, même les plus grands champions peinent à rester stoïques.

"Quand mon moteur tournait rond, je ne ressentais même pas la pluie. Quand il a commencé à « crachotter », le froid me saisit ; c’était un abominable supplice."
Maurice Trintignant
La Ferrari 375 Plus, dessinée par Pinin Farina, a connu beaucoup de succès. Umberto Maglioli, malchanceux au Mans, a remporté la prestigieuse Carrera Panamericana à son volant en 1954.
La Ferrari 375 Plus, dessinée par Pinin Farina, a connu beaucoup de succès. Umberto Maglioli, malchanceux au Mans, a remporté la prestigieuse Carrera Panamericana à son volant en 1954.

N’osant plus s’arrêter aux stands de peur de ne jamais pouvoir en ressortir, Trinignant continue, à faible allure, jusqu’à ce qu’il soit contraint de rouler au pas. Il n’y a plus le choix, il faut réparer. Tony Rolt, lui, souffre d’autres maux. Ses lunettes sont pleines d’eau, mais il se fait gentiment prier de continuer, sans rien voir, afin de mettre la pression à Ferrari. Les mécaniciens italiens sèchent le moteur comme ils peuvent. Il est temps d’essayer de le redémarrer. Premier essai. Deuxième essai. Troisième essai. Quatrième essai. Rien n’y fait. La Jaguar est à moins d’un tour, la situation est critique. Trintignant, lui, n’y croit plus.

"« C’est fichu, on ne remettra jamais la voiture en marche » dis-je. Quand le mécanicien essayait de démarrer, je pouvais voir le sang battre dans la peau de son cou."
Maurice Trintignant

Au bout du septième essai, le V12 de la 375 Plus renaît de ses cendres. Rolt s’arrête pour laisser le volant à Hamilton, et par la même occasion, retrouver la vue. Trintignant, trop excité, préfère laisser partir González pour l’assaut final. L’Argentin n’a pas dormi du week-end, mais qu’importe. Pendant une heure, Jaguar chasse Ferrari sans relâche, tantôt à l’avantage d’Hamilton sur les parties détrempées, tantôt en faveur du taureau de la Pampa lorsque l’adhérence se fait sentir. Mais à trente minutes du terme, la pluie cesse définitivement. La Ferrari fatiguée passe la ligne en tête seulement trois minutes devant Duncan Hamilton et sa Jaguar valeureuse – mais défaite. C’est l’arrivée la plus serrée depuis 1933. La foule en délire accueille les héros comme il se doit, au terme d’une bataille longue d’une journée qui paraissait en faire le double. Malgré toutes les déconvenues, les avaries mécaniques, et la météo déchaînée, la barre des 4 000 kilomètres est franchie.

La Jaguar Type D #14, fatiguée après 24 heures de chasse incessante.
La Jaguar Type D #14, fatiguée après 24 heures de chasse incessante.

Une fois de plus, Le Mans a offert au public plus qu’une course, mais une pièce de théâtre avec la nature comme metteuse en scène. La Scuderia triomphe ainsi de ses premières 24 Heures en tant qu’équipe officielle, cinq ans après la victoire d’une Ferrari privée aux mains de Lord Selsdon et du grand Luigi Chinetti. Jaguar repart la tête haute, avec la conscience d’avoir créé une voiture particulière, de celles que l’on n'oublie jamais.

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