Tout oppose les deux hommes ou presque. L’un a bâti un petit bijou de constructeur qui se consacre uniquement au haut-de-gamme. L’autre a hérité d’un empire qui a assis sa puissance sur la fabrication à la chaîne des véhicules de Monsieur Toutlemonde. Une chose les réunit : l’esprit de compétition, qui donnera naissance à l’un des plus beaux duels de l’histoire du sport automobile.

Entre 1949 et 1965, Ferrari s’est imposé à neuf reprises aux 24 Heures du Mans, dont six victoires consécutives entre 1960 et 1965. Entretemps, en 1963, Enzo Ferrari, surnommé le Commendatore, a refusé une offre d’achat de la part de Ford alors que les négociations étaient déjà bien engagées. Piqué au vif, le patron du constructeur américain, Henry Ford II, décidé de défier le cheval cabré sur son terrain de jeu de prédilection : les 24 Heures du Mans.

Malheureusement, les débuts de Ford dans la Sarthe sont catastrophiques. Les abandons de 1964 peuvent être mis sur le compte de la jeunesse : il est rarissime de s’imposer dans une course de 24 Heures alors que le projet n’en est qu’à ses balbutiements. En revanche, en 1965, le duel tant attendu tourne au cauchemar pour le constructeur de Dearborn : après sept heures de course, les six voitures engagées ont perdu tout espoir à cause d’une boîte de vitesses défectueuse. Une véritable claque pour Henry Ford II et un triomphe pour Enzo Ferrari qui peut savourer… un triplé !

Une politesse qu’Henry Ford II lui rendra un an plus tard. Avant le départ de la course, Enzo Ferrari subit un camouflet lorsque John Surtees, seul pilote à avoir été Champion du Monde sur deux et quatre roues, claque la porte, comme il nous l’avait expliqué dans une interview : "Je suis allé au Mans trois fois avec Ferrari et à chaque fois, j'aurais pu gagner. En 1966, après avoir réalisé le meilleur temps pendant les essais, je me suis rendu sur le circuit, mais suite à un désaccord avec le team-manager, j'ai quitté le circuit sur le champ."

Ce désaccord portait sur l'identité de son coéquipier. Il était prévu que John Surtees partage le volant de sa Ferrari 330 avec Mike Parkes, mais lorsque le Britannique arrive dans la Sarthe, il découvre que le nom de Lodovico Scarfiotti a remplacé celui de Mike Parkes sur la voiture. John Surtees, qui reprochait à Enzo Ferrari de l'écarter après son grave accident de Mosport en 1965 au profit de Lorenzo Bandini, ne le supporte pas. Les malheurs de Ferrari ne faisaient que commencer : aucun prototype du "cavallino rampante" ne sera à l’arrivée de l’édition 1966, une première !

Enzo Ferrari, qui aurait célébré ses 118 ans aujourd’hui, ne le savait pas encore, mais 1965 constitue aujourd’hui encore la dernière victoire au classement général du constructeur italien aux 24 Heures du Mans…

Cécile Bonardel / ACO